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LA SOURIS INTERROGÉE…

— Vous avez dit qu’un juif qui se fait chrétien ne sent pas bon.
— Mais j’ai ajouté qu’un chrétien qui se fait juif sent mauvais.

Minos jeta un regard sur le dossier dénonciateur.

— Vous affirmez et propagez des choses invraisemblables. Vous avez dit qu’Élien avait vu un éléphant écrire des sentences.
— Non pas, très révérend. J’ai simplement dit qu’Oppien avait entendu un hippopotame discuter un problème philosophique.
— Vous avez déclaré qu’il n’est pas vrai qu’un plat de bois de hêtre se couvre de lui-même de tous les mets qu’on peut désirer.
— J’ai dit que, pour qu’il eût cette vertu, il faudrait qu’il vous ait été donné par le diable.
— Donné à moi !
— Non, à moi, révérend ! — Non ! à personne ! à tout le monde !

Et, à part, Ursus songea : « Je ne sais plus ce que je dis. » Mais son trouble extérieur, bien qu’extrême, n’était pas trop visible. Ursus luttait.

— Tout ceci, repartit Minos, implique une certaine foi au diable.

Ursus tint bon.

— Très révérend, je ne suis pas impie au diable. La foi au diable est l’envers de la foi en Dieu. L’une prouve l’autre. Qui ne croit pas un peu au diable ne croit pas beaucoup en Dieu. Qui croit au soleil doit croire à l’ombre. Le diable est la nuit de Dieu. Qu’est-ce que la nuit ? la preuve du jour.

Ursus improvisait ici une insondable combinaison de philosophie et de religion. Minos redevint pensif et refît un plongeon dans le silence.

Ursus respira de nouveau.

Une brusque attaque eut lieu. Éaque, le délégué de la médecine, qui venait de protéger dédaigneusement Ursus contre le préposé à la théologie, se fit subitement d’auxiliaire assaillant. Il posa son poing fermé sur son dossier, qui était épais et chargé. Ursus reçut de lui en plein torse cette apostrophe :

— Il est prouvé que le cristal est de la glace sublimée, et que le diamant est du cristal sublimé ; il est avéré que la glace devient cristal en mille ans, et que le cristal devient diamant en mille siècles. Vous l’avez nié.
— Point, répliqua Ursus avec mélancolie. J’ai seulement dit qu’en mille ans la glace avait le temps de fondre, et que mille siècles, c’était malaisé à compter.

L’interrogatoire continua, les demandes et les réponses faisant comme un cliquetis d’épées.

— Vous avez nié que les plantes pussent parler.
— Nullement. Mais il faut pour cela qu’elles soient sous un gibet.