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NOTES DE L’ÉDITEUR.

culer devant le procès. Pendant trois jours, du 17 au 20 avril, ce sont des courses folles de Paul Meurice et de Vacqueric dans Paris ; visites répétées à Lacroix, luttes plutôt amères, promenades dans les bureaux de journaux ; enfin, il est décidé qu’en présence des prétentions insoutenables de Lacroix, la lettre de Victor Hugo sera publiée le lundi 19 avril ; elle est donc remise aux journaux amis, mais un hasard apprend à Paul Meurice et à Vacquerie que vers deux heures Lacroix cède sur un point et offre l’option au public. Ils retournent à la librairie et négocient avec Lacroix aux conditions suivantes : la lettre de Victor Hugo serait retirée, et Lacroix on écrirait une, dont les termes seraient arrêtés d’accord entre eux. Lacroix consent. Nouvelles courses dans les journaux ; huit heures de voiture ; partout on arrive à temps pour empêcher la publication, sauf au National qui était déjà cliché. Nouvelle entrevue avec Lacroix pour lui annoncer le mécompte, fureur de Lacroix, puis apaisement à la suite d’un accord sur la rédaction d’une lettre de Lacroix qui serait publiée.

Voici les deux lettres ; d’abord celle de Victor Hugo, publiée par le National le 20 avril, avec cette note :

Aussitôt que M. Victor Hugo été informé par son éditeur de la façon inusitée dont il entendait publier l’Homme qui Rit, il lui a repondu par la lettre suivante :

Hauteville House, 8 avril 1869.
Mon cher Monsieur Lacroix,

« Votre lettre du 14 mars et votre lettre du 3 avril me sont arrivées ensemble, hier soir, 7 avril, sous la même enveloppe.

« J’avais appris par les journaux votre combinaison, sur laquelle vous n’avez pas jugé à propos de me consulter.

« Ne recevant de vous aucune communication à ce sujet, j’ai prié mes amis de vous voir, et vous avez su par eux ma surprise et ma désapprobation.

« Je voulais pour l’Homme qui Rit, comme pour les Misérables et les Travailleurs de la mer, la publication pure et simple, sans complication, avec les abaissements de prix successifs qui permettent d’atteindre, comme cela a eu lieu pour les Misérables illustrés, des tirages de deux cent mille exemplaires.

« Loin de démocratiser le livre, votre combinaison, dont vous me faites enfin part, lui crée des difficultés de circulation.

« Si vous persistiez dans cette combinaison, qui, du reste, vis-à-vis de moi, auteur, excède votre droit, je serais forcé de rendre public mon dissentiment. Ce serait pour moi un véritable regret.

« Recevez la nouvelle assurance de mes sentiments distingués.

« Victor Hugo...

Voici la réponse de Lacroix :

20. avril 1869.
Monsieur le rédacteur.

En présence de l’insertion dans les colonnes d’un journal d’une lettre que M. Victor Hugo m’avait adressée, je désire donner spontanément satisfaction au scrupule de M. Victor Hugo et je dois déclarer qu’il a été et demeure absolument étranger à la combinaison adoptée pour la publication de l’Homme qui Rit.

Je n’avais pas à le consulter et je ne l’ai pas consulté sur cette combinaison, que je crois être dans mon droit et favorable à la diffusion de l’œuvre et aux intérêts du public.

Agréez, etc.

Albert Lacroix.

Lacroix avait enfin consenti à l’option ; mais le prix des quatre volumes avait été porté de 50 francs à 40 francs, ce qui était exorbitant. M. Panis avait voulu éviter que la concurrence ne fût trop redoutable pour sa combinaison.

Le 19 avril, paraissait le premier volume de l’Homme qui Rit. et, le 8 mai, le quatrième volume ; mais Victor Hugo avait déjà reçu le 30 avril l’œuvre complète qui se vendait à Londres avant de se vendre à Paris, et il notait sur ses carnets : « violation du traité ».