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NOTES DE L’ÉDITEUR.

S’étonner de la richesse d’imagination de M. Hugo serait presque de la naïveté ; mais ce qui frappe tout particulièrement dans ce prologue, c’est le prodigieux parti que sait tirer l’auteur de l’étude attentive et minutieuse des phénomènes naturels. Sa description de la tempête de neige est, à ce point de vue, une des pages les plus surprenantes qu’on puisse lire. Cette faculté de prendre ainsi un fait matériel et de faire sortir de toutes les circonstances de ce fait et de ses résultats des effets d’une irrésistible puissance, c’est là une faculté qui ne s’est peut-être jamais rencontrée, chez un poète, au degré où nous la voyons chez M. Victor Hugo. Nul ne sait comme lui donner une âme aux choses…

Nous avons cette fois encore la preuve que les années n’ont fait qu’accroître les forces de celui que l’injuste brutalité des hommes et des choses nous a enlevé, homme dans la force de l’âge et qui est devenu un vieillard loin de nous, qui l’aimons, et de son pays dont il est la force.

Le Libéral du Centre (13 juillet).
Camille Pelletan.

… La seule apparition d’un livre de Victor Hugo est encore un de ces événements qui s’imposent despotiqucment à toutes les attentions. On n’a pas souvent le bonheur de voir naître un ouvrage dont la publication constitue à coup sûr une date dans l’histoire littéraire. De là l’intérêt qui s’attache à toutes les œuvres du maître et qui s’est porté sur l’Homme qui Rit.

… Le début est un des coups de génie les plus écrasants de Victor Hugo.

Tout le premier volume se passe dans un orage de neige ; un double orage, sur terre et sur mer, poursuivant un navire perdu dans l’Océan et un enfant perdu sur le rivage.

… Il semble que les phrases acquièrent, quand il le désire, le balancement éternel de la mer et l’élan élastique du flot. Il enveloppe ses scènes de l’atmosphère saline des plages. On sent qu’il a vécu dans l’intimité des rochers façonnés par l’océan.

Toute l’âme tumultueuse de la tempête passe dans les mots. Faire trois cents pages avec le récit d’une tempête, et les faire pleines d’une émotion haletante, c’était à la fois l’idée la plus grandiose et la difficulté la plus insurmontable. C’est le premier volume de l’Homme qui Rit.

… Ce qu’on ne peut se lasser d’admirer, c’est ce prodigieux parti tiré de la langue. Jamais les mots n’avaient rencontré un tel maître. On sent qu’ils obéissent absolument. Victor Hugo a fait la langue qu’il parle, il a des tournures, des mots, presque une signature à lui seul. Mais tout cela est profondément dans le génie du français, et quels instruments prodigieux ! Il fallait pour l’exécuteur de semblables conceptions une langue d’une force, d’une couleur, d’une étrangère infinies.

… En somme, l’Homme qui Rit est à la hauteur des Misérables, des Travailleurs de la mer, de la Légende des Siècles et des Chansons des rues et des bois ; il est digne de ses aînés, de ces œuvres titaniques qui composent ce que nous pouvons appeler la dernière manière de Victor Hugo. Nous affirmons qu’il possède à un même degré l’écrasante grandeur des conceptions, l’étourdissante perfection de l’exécution. Or, affirmer cela, c’est faire l’éloge le plus enthousiaste qu’on puisse faire du dernier ouvrage dont Victor Hugo nous ait octroyé la jouissance, pour emprunter encore une fois les expressions de Baudelaire


III

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

L’Homme qui Rit. — Paris, librairie internationale, boulevard Montmartre, n° 15, A. Lacroix et Vcrboeckhoven et C’*, éditeurs, à Bruxelles, à Lcipsig et à Livourne (imprimerie L. Poupart-Davyl), 1869, 4 volumes in-8o. — Édition originale, publiée à 7 fr. 10 le lume. —

L’Homme qui Rit. — Illustrations de Daniel Vierge, Paris, librairie illustrée, rue du Crois-