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L'HOMME QUI RIT

patient. Il subissait. Les ouragans étaient sur lui. Lugubre fonction des souffles.

Ce spectre était là au pillage. Il endurait cette voie de fait horrible, la pourriture en plein vent. Il était hors la loi du cercueil. Il avait l’anéantissement sans la paix. Il tombait en cendre l’été et en boue l’hiver. La mort doit avoir un voile, la tombe doit avoir une pudeur. Ici ni pudeur ni voile. La putréfaction cynique et en aveu. Il y a de l’effronterie à la mort à montrer son ouvrage. Elle fait insulte à toutes les sérénités de l’ombre quand elle travaille hors de son laboratoire, le tombeau.

Cet être expiré était dépouillé. Dépouiller une dépouille, inexorable achèvement. Sa moelle n’était plus dans ses os, ses entrailles n’étaient plus dans son ventre, sa voix n’était plus dans son gosier. Un cadavre est une poche que la mort retourne et vide. S’il avait eu un moi, où ce moi était-il ? Là encore peut-être, et c’était poignant à penser. Quelque chose d’errant autour de quelque chose d’enchaîné, peut-on se figurer dans l’obscurité un linéament plus funèbre ?

Il existe des réalités ici-bas qui sont comme des issues sur l’inconnu, par où la sortie de la pensée semble possible, et où l’hypothèse se précipite. La conjecture a son compelle intrare. Si l’on passe en certains lieux et devant certains objets, on ne peut faire autrement que de s’arrêter en proie aux songes, et de laisser son esprit s’avancer là dedans. Il y a dans l’invisible d’obscures portes entre-bâillées. Nul n’eût pu rencontrer ce trépassé sans méditer.

La vaste dispersion l’usait silencieusement. Il avait eu du sang qu’on avait bu, de la peau qu’on avait mangée, de la chair qu’on avait volée. Rien n’avait passé sans lui prendre quelque chose. Décembre lui avait emprunté du froid, minuit de l’épouvante, le fer de la rouille, la peste des miasmes, la fleur des parfums. Sa lente désagrégation était un péage. Péage du cadavre à la rafale, à la pluie, à la rosée, aux reptiles, aux oiseaux. Toutes les sombres mains de la nuit avait fouillé ce mort.

C’était on ne sait quel étrange habitant. L’habitant de la nuit. Il était dans une plaine et sur une colline, et il n’y était pas. Il était palpable et évanoui. Il était de l’ombre complétant les ténèbres. Après la disparition du jour, dans la vaste obscurité silencieuse, il devenait lugubrement d’accord avec tout. Il augmentait, rien que parce qu’il était là, le deuil de la tempête et le calme des astres. L’inexprimable, qui est dans le désert, se condensait en lui. Épave d’un destin inconnu, il s’ajoutait à toutes les farouches réticences de la nuit. Il y avait dans son mystère une vague réverbération de toutes les énigmes.

On sentait autour de lui comme une décroissance de vie allant jusqu’aux