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ENTRÉE EN SCÈNE D'UN NUAGE…

— Mais, seigneur docteur, le cap à l’ouest…
— Oui, patron.
— C’est le vent debout !
— Oui, patron.
— C’est un tangage diabolique !
— Choisis d’autres mots. Oui, patron.
— C’est le navire sur le chevalet !
— Oui, patron.
— C’est peut-être le mât rompu !
— Peut-être.
— Vous voulez que je gouverne à l’ouest !
— Oui.
— Je ne puis.
— En ce cas, fais ta dispute avec la mer comme tu voudras.
— Il faudrait que le vent changeât.
— Il ne changera pas de toute la nuit.
— Pourquoi ?
— Ceci est un souffle long de douze cents lieues.
— Aller contre ce vent-là, impossible !
— Le cap à l’ouest, te dis-je !
— J’essaierai. Mais malgré tout nous dévierons.
— C’est le danger.
— La brise nous chasse à l’est.
— Ne va pas à l’est.
— Pourquoi ?
— Patron, sais-tu quel est aujourd’hui pour nous le nom de la mort ?
— Non.
— La mort s’appelle l’Est.
— Je gouvernerai à l’ouest.

Le docteur cette fois regarda le patron, et le regarda avec ce regard qui appuie comme pour enfoncer une pensée dans un cerveau. Il s’était tourné tout entier vers le patron et il prononça ces paroles lentement, syllabe à syllabe :

— Si cette nuit, quand nous serons au milieu de la mer, nous entendons le son d’une cloche, le navire est perdu.

Le patron le considéra, stupéfait.

— Que voulez-vous dire ?

Le docteur ne répondit pas. Son regard, un instant sorti, était maintenant rentré. Son œil était redevenu intérieur. Il ne sembla point percevoir la question étonnée du patron. Il n’était plus attentif qu’à ce qu’il écoutait