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ACTE I. — LES CONJURÉS
LORD ORMOND.

Triste et commun effet des troubles domestiques !
À quoi tiennent, mon Dieu, les vertus politiques ?
Combien doivent leur faute à leur sort rigoureux !
Et combien semblent purs, qui ne furent qu’heureux !
Broghill ! brise avec nous le joug qui nous opprime ;
Prouve ton repentir !


LORD BROGHILL.

Quoi ! par un nouveau crime ?

Non. Je puis être, ami, pour ton fatal secret.
Sinon complice, au moins un confident discret.
Mais c’est là tout. Je dois, neutre dans cette lutte,
Subir votre triomphe, adoucir votre chute,
Quel que soit le vainqueur, toujours fidèle à tous,
Périr avec Cromwell, ou le fléchir pour vous.


LORD ORMOND.

Te taire sans agir ! ainsi donc tu vas être
Perfide envers Cromwell, sans servir ton vrai maître.
Sois donc ami sincère ou sincère ennemi,
Et ne reste pas traître et fidèle à demi !
Dénonce-moi plutôt !


LORD BROGHILL, fièrement.

Cette parole, comte.

Si vous n’étiez proscrit, vous m’en rendriez compte !


LORD ORMOND, lui tendant la main.

Pardonne, cher Broghill ! je suis un vieux soldat.
Vingt ans, fidèle au roi, j’ai rempli mon mandat.
Presque tous mes combats, presque tous mes services
Sont écrits sur mon corps en larges cicatrices ;
J’ai reçu des leçons de plus d’un chef expert.
Du marquis de Montrose et du prince Rupert ;
J’ai commandé sans morgue, obéi sans murmure ;
J’ai blanchi sous le casque et vieilli sous l’armure ;
J’ai vu mourir Strafford ; j’ai vu périr Derby ;
J’ai vu Dunbar, Tredagh, Worcester, Naseby,
Ces luttes des seuls bras qui pouvaient sur la terre
Abattre ou soutenir le trône d’Angleterre ;
J’ai vu tomber ce trône, ébranlé dans les camps ;