Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/161

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ANGELO.

Homodei ! qu’est-ce que c’est que cela, Homodei ?

LA TISBE.

Cela, Homodei, c’est un homme, monseigneur, comme ceci, la Tisbe, c’est une femme. Homodei, monseigneur, c’est un joueur de guitare que monsieur le primicier de Saint-Marc, qui est fort de mes amis, m’a adressé dernièrement avec une lettre, que je vous montrerai, vilain jaloux ! et même à la lettre était joint un présent.

ANGELO.

Comment ?

LA TISBE

Oh ! un vrai présent vénitien. Une boîte qui contient simplement deux flacons, un blanc, l’autre noir. Dans le blanc, il y a un narcotique très puissant qui endort pour douze heures d’un sommeil pareil à la mort ; dans le noir, il y a du poison, de ce terrible poison que Malaspina fit prendre au pape dans une pilule d’aloès, vous savez ? Monsieur le primicier m’écrit que cela peut servir dans l’occasion. Une galanterie, comme vous voyez. Du reste, le révérend primicier me prévient que le pauvre homme, porteur de la lettre et du présent, est idiot. Il est ici, et vous auriez dû le voir, depuis quinze jours, mangeant à l’office, couchant dans le premier coin venu, à sa mode, jouant et chantant en attendant qu’il s’en aille à Vicence. Il vient de Venise. Hélas ! ma mère a erré ainsi. Je le garderai tant qu’il voudra. Il a quelque temps égayé la compagnie ce soir. Notre fête ne l’amuse pas, il dort. C’est aussi simple que cela.

ANGELO.

Vous me répondez de cet homme ?

LA TISBE.

Allons, vous voulez rire ! La belle occasion pour prendre cet air effaré ! un joueur de guitare, un idiot, un homme qui dort ! Ah ça, monsieur le podesta, mais qu’est-ce que vous avez donc ? Vous passez votre vie à faire des questions sur celui-ci, sur celui-là. Vous prenez ombrage de tout. Est-ce jalousie, ou est-ce peur ?

ANGELO.

L’une et l’autre.

LA TISBE.

Jalousie, je le comprends, vous vous croyez obligé de surveiller deux femmes. Mais peur ! vous le maître, vous qui faites peur à tout le monde, au contraire !