Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/36

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frappa à la porte de l’échoppe, à travers laquelle la lampe de l’ouvrier jetait quelque lueur. L’artisan ouvrit. Un homme qu’il ne connaissait pas entra. Cet homme portait dans ses bras un enfant au maillot fort effrayé et qui pleurait. L’homme déposa l’enfant sur la table et dit : Voici une créature qui n’a plus ni père ni mère. Puis il sortit lentement et referma la porte sur lui. Gilbert, l’ouvrier, n’avait lui-même ni père ni mère. L’ouvrier accepta l’enfant, l’orphelin adopta l’orpheline. Il la prit, il la veilla, il la vêtit, il la nourrit, il la garda, il l’éleva, il l’aima. Il se donna tout entier à cette pauvre petite créature que la guerre civile jetait dans son échoppe. Il oublia tout pour elle, sa jeunesse, ses amourettes, son plaisir, il fit de cette enfant l’objet unique de son travail, de ses affections, de sa vie, et voilà seize ans que cela dure. Gilbert, l’ouvrier, c’était vous ; l’enfant…

GILBERT.

C’était Jane. — Tout est vrai dans ce que tu dis, mais où veux-tu en venir ?

L’HOMME.

J’ai oublié de dire qu’aux langes de l’enfant il y avait un papier attaché avec une épingle sur lequel on avait écrit ceci : Ayez pitié de Jane.

GILBERT.

C’était écrit avec du sang. J’ai conservé ce papier. Je le porte toujours sur moi. Mais tu me mets à la torture. Où veux-tu en venir, dis ?

L’HOMME.

À ceci. — Vous voyez que je connais vos affaires. Gilbert ! veillez sur votre maison cette nuit.

GILBERT.

Que veux-tu dire ?

L’HOMME.

Plus un mot. N’allez pas à votre travail. Restez dans les environs de cette maison. Veillez. Je ne suis ni votre ami ni votre ennemi, mais c’est un avis que je vous donne. Maintenant, pour ne pas vous nuire à vous-même, laissez-moi. Allez-vous-en de ce côté, et venez si vous m’entendez appeler main-forte.

GILBERT.

Qu’est-ce que cela signifie ? (Il sort à pas lents.)