Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/535

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à voir, horrible aux lions mêmes,
Les herbes, les poisons, et les philtres suprêmes
Qui font qu'un trépassé redevient tout d'abord
Vivant, et qu'un vivant prend la face d'un mort;

Otbert.
Peux-tu la sauver, dis?

Guanhumara.
Oui.

Otbert.
Par pitié, par grâce,
Pour Dieu qui nous entend, par tes pieds que j'embrasse.
Sauve-la, guéris-la !

Guanhumara.
Si tout à l'heure ici,
Quand tes yeux contemplaient Régina, ton souci,
Hatto soudain était entré comme un orage,
Si devant toi, féroce et riant avec rage,
Il l'avait poignardée, elle, et jeté son corps
Au torrent qui rugit comme un tigre dehors;
Puis, si, te saisissant de sa main assassine,
Il t'avait exposé dans la ville voisine,
L'anneau d'esclave au pied, nu, mourant, attaché
Comme une chose à vendre, au poteau du marché;
S'il t'avait en effet, toi soldat, toi né libre,
Vendu, pour qu'on t'attelle aux barques sur le Tibre !
Suppose maintenant qu'après ce jour hideux
La mort près de cent ans vous oubliât tous deux;
Après avoir erré de rivage en rivage,
Quand tu reviendrais vieux de ce long esclavage,
Que te resterait-il au cœur ? Parle à présent.

Otbert.
La vengeance, le meurtre, et la soif de son sang.

Guanhumara.
Eh bien! je suis le meurtre et je suis la vengeance.
Je vais, fantôme aveugle, au but marqué d'avance;
Je suis la soif du sang ! Que me demandes-tu ?
D'avoir de la pitié, d'avoir de la vertu,
De sauver des vivants? J'en ris lorsque j'y pense.
Tu dis avoir besoin de moi? Quelle imprudence!