Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/577

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Ou, si je m'endormais, versant un sang vermeil,
Deux ombres traversaient sans cesse mon sommeil.
Se levant en s'avançant sur le devant de la scène.
Le monde m'a cru grand; dans l'oubli du tonnerre,
Ces monts ont vu blanchir leur bandit centenaire;
L'Europe m'admirait debout sur nos sommets ;
Mais, quoi que puisse faire un meurtrier, jamais
Sa conscience en deuil n'est dupe de sa gloire.
Les peuples me croyaient ivre de ma victoire ;
Mais la nuit, — chaque nuit! et pendant soixante ans! —
Morne, ici je pliais mes genoux pénitents !
Mais ces murs, noir repli de ce burg si célèbre,
Voyaient l'intérieur indigent et funèbre
De ma fausse grandeur, pleine de cendre, hélas!
Les clairons devant moi jetaient de longs éclats;
J'étais puissant; j'allais, levant haut ma bannière,
Comte chez l'empereur, lion dans ma tanière ;
Mais, tandis qu'à mes pieds tout n'était que néant,
Mon crime, nain hideux, vivait eu moi, géant,
Riait quand on louait ma tête vénérable,
Et, me mordant au cœur, me criait : Misérable !
Levant les mains au ciel.
Donato! Ginevra ! victimes ! ferez-vous
Grâce à votre bourreau, quand Dieu nous prendra tous?
Oh ! frapper sa poitrine, a genoux sur la pierre,
Pleurer, se repentir, vivre l'âme en prière,
Cela ne suffit pas. Rien ne m'a pardonné!
Non ! je me sais maudit, et je me sens damné !
Il se rassied.
J'avais des descendants et j'avais des ancêtres;
Mon burg est mort; mon fils est vieux; ses fils sont traîtres ;
Mon dernier-né ! — je l'ai perdu ! — dernier trésor !
Otbert et Régina, ceux que j'aimais encor,
— Car l'âme aime toujours, parce qu'elle est divine, —
Sont dispersés sans doute au vent de ma ruine.
Je viens de les chercher, tous deux ont disparu.
C'est trop ! mourons !
Il tire un poignard de la ceinture.
Ici, mon cœur l'a toujours cru,
Quelqu'un m'entend.
Se tournant vers les profondeurs du souterrain.
Eh bien ! je t'adjure à cette heure,