Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/89

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d’air. J’étouffe ici. Fuyons vite ! Viens-nous-en, Jane ! Je veux vivre, moi ! je suis aimé !

JANE.

Pas encore. Il faut un bateau. Il faut attendre la nuit. Mais sois tranquille, tu es sauvé. Avant une heure, nous serons dehors. La reine est à la maison de ville, et ne reviendra pas de sitôt. Je suis maîtresse ici. Je t’expliquerai tout cela.

GILBERT.

Une heure d’attente, c’est bien long ! Oh ! il me tarde de ressaisir la vie et le bonheur. Jane, Jane, tu es là ! Je vivrai ! tu m’aimes ! Je reviens de l’enfer ! Retiens-moi, je ferais quelque folie, vois-tu. Je rirais, je chanterais. Tu m’aimes donc ?

JANE.

Oui ! je t’aime ! Oui, je t’aime ! Et, — vois-tu, Gilbert, crois-moi bien, ceci est la vérité comme au lit de la mort, — je n’ai jamais aimé que toi ! Même dans ma faute, même au fond de mon crime, je t’aimais ! À peine ai-je été tombée aux bras du démon qui m’a perdue, que j’ai pleuré mon ange !

GILBERT.

Oublié ! pardonné ! Ne parle plus de cela, Jane. Oh ! que m’importe le passé ? Qui est-ce qui résisterait à ta voix ? qui est-ce qui ferait autrement que moi ? Oh ! oui, je te pardonne bien tout, mon enfant bien-aimée ! Le fond de l’amour, c’est l’indulgence, c’est le pardon. Jane, la jalousie et le désespoir ont brûlé les larmes dans mes yeux. Mais je te pardonne, mais je te remercie, mais tu es pour moi la seule chose vraiment rayonnante de ce monde, mais à chaque mot que tu prononces je sens une douleur mourir et une joie naître dans mon âme ! Jane, relevez votre tête, tenez-vous droite là, et regardez-moi. — Je vous dis que vous êtes mon enfant.

JANE.

Toujours généreux ! toujours ! mon Gilbert bien-aimé !

GILBERT.

Oh ! je voudrais être déjà dehors, en fuite, bien loin, libre avec toi ! Oh ! cette nuit qui ne vient pas ! — Le bateau n’est pas là ! — Jane ! nous quitterons Londres tout de suite, cette nuit. Nous quitterons l’Angleterre. Nous irons à Venise. Ceux de mon métier gagnent beaucoup d’argent là. Tu seras à moi… — Oh ! mon Dieu ! je suis insensé, j’oubliais quel nom tu portes ! Il est trop beau, Jane !

JANE.

Que veux-tu dire ?