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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome IV.djvu/24

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Vous êtes la grandeur, je suis la petitesse.

Je vous suis dévoué, seigneur.

Le Roi


C'est faux.

Le Marquis


 Altesse...

Le Roi


 Épargne-moi l'ennui du dévouement, mon cher.

Pour toi je suis obscur, pour moi tu n'es pas clair.

Moi je fais le bon prince et toi le bon apôtre.

Au fond nous sommes pleins de fiel l'un contre l'autre;

J'exècre le valet, tu détestes le roi;

Tu m'assassinerais si tu pouvais, et moi

Je te ferai peut-être un jour couper la tête.

Nous sommes bons amis à cela près.

Le Marquis ouvre la bouche pour protester.

Arrête Ta dépense de mots, courtisan.

Tu me hais, Je te hais.

En moi l'ombre, en toi de noirs souhaits.

Et chacun garde en soi son gouffre.

Nouveau geste du marquis, réprimé par le roi, qui continue.

On se pénètre.

Nous avons l'un sur l'autre une obscure fenêtre,

Et nous voyons nos cœurs sinistres. Ton amour,

Ton dévouement, j'en ris, vieux traître. Jusqu'au jour

Où tu ne pourras plus tirer d'or de ma poche,

Tant que ton intérêt, lien sûr, nous rapproche,

Marquis, je t'emploierai pour conseiller, sachant

Que tu me serviras mieux, étant plus méchant.

A bas ton masque! à bas le mien! je le préfère.

Dire vrai, cet affront qu'on n'ose pas me faire,

Moi, je le fais à tous, marquis. C'est bien le moins

Que je sois franc, ayant des fourbes pour témoins.

Si le prince, que fuit la vérité farouche,

Ne l'a pas dans l'oreille, il l'aura dans la bouche,

Et tu constateras dans tes vils bégaiements

Que, roi, je suis sincère et que, laquais, tu mens.

Causons à présent.

Le Marquis