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Mais...

Le Roi


Être roi, quelle chaîne!

Être un jeune homme, plein d'explosions, de haine,

De tumulte, vivant, bouillant, ardent, moqueur,

Avec un tourbillon de passions au cœur,

Être un mélange obscur de sang, de feu, de poudre,

De caprices, pareil au faisceau de la foudre,

Vouloir tout essayer, tout souiller, tout saisir,

Avoir soif d'une femme, avoir faim d'un plaisir,

Ne pas voir une vierge, une proie, un désordre,

Un cœur, sans tressaillir du noir besoin de mordre,

Se sentir de la tête aux pieds l'homme de chair,

Et sans cesse, en la nuit d'un magnifique enfer,

Pâle, entendre une voix qui dit: Sois un fantôme!

N'être pas même un roi! misère! être un royaume!

Sentir un amalgame horrible de cités

Et d'états remplacer en vous vos volontés,

Vos désirs, vos instincts; et des tours, des murailles,

Des provinces, croiser leurs noeuds dans vos entrailles;

Se dire en regardant la carte: me voilà!

J'ai pour talon Girone et pour tête Alcala!

Voir croître en son esprit, chaque jour moindre et pire,

Un appétit qui prend la forme d'un empire,

Sentir couler sur soi des fleuves, voir des mers

Vous isoler dans l'ombre avec leurs plis amers,

Subir l'étouffement qu'a sous l'onde une flamme,

Et, morne, avoir le monde infiltré dans son âme!-

Et ma femme, ce monstre immobile! je suis

L'esclave de ses jours, le forçat de ses nuits.

Seuls dans une lueur - sombre, tant elle est haute,

Nous sommes tout-puissants et tristes, côte à côte.

Nous nous refroidissons en nous touchant.Dieu met

Sur on ne sait quel fauve et tragique sommet,

Au-dessus d'Aragon, de Jaèn, des Algarves,

De Burgos, de Léon, des Castilles, deux larves,

Deux masques, deux néants formidables, le roi,

La reine; elle est la crainte et moi je suis l'effroi.

Ah! certe, il serait doux d'être roi, qui le nie?

Si le tyran n'avait sur lui la