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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Mis au sale ! À quoi bon avoir vécu ? Que sert
D’aller, d’aimer, d’agir ? Ce monde est un désert
Où le faux toujours s’offre, où le vrai toujours manque.
Vous me direz qu’on peut se faire saltimbanque,
Sans doute, et le plein air est le premier des biens ;
Mais il est fatigant de plaire aux citoyens.
Reste donc la forêt. Tenez, quoique je boude,
J’ai, moi, du genre humain fort peu senti le coude ;
Depuis trente ans, je dors sous l’orme et le tilleul,
Et je vis hors la loi dans la nature, et, seul,
J’erre à travers la grande hamadryade verte.
Eh bien, je sens un joug. Mais la porte est ouverte.
La mort calomniée, oui, c’est la liberté !

LE ROI, à part.

Il est affreusement lugubre.

AÏROLO.

Il est affreusement lugubre. Ma gaîté
Vient de ce que partout,

Vient de ce que partout, Montrant le bois.

Vient de ce que partout, si l’ennui vient me prendre,
Je vois la branche d’arbre où je pourrai me pendre.
Roi, même en la forêt, je me sens en prison.
Parfois je cherche à voir plus loin que l’horizon.
Je gravis une cime.

Il monte à un grand arbre qui donne sur le précipice.
LE ROI, à part.

Je gravis une cime. Il grimpe à cet érable !
Ne va pas te casser, vaurien irréparable !

À Aïrolo.

Tu sais grimper, au moins ?

AÏROLO.

Tu sais grimper, au moins ? Je tombe quelquefois.

LE ROI.

Ciel ! — Viens !