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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.


V

BLANCMOINEAU. — MAGLIA.
BLANCMOINEAU.

Je veux l’épouser !

MAGLIA.

Je veux l’épouser ! Fichtre ! ah fichtre ! l’hyménée !
Elle est charmante avant ; mais après ? question.
Ça vous peut concourir pour le prix Monthyon
À cette heure, c’est humble et rougissant, ça baisse
Les yeux, c’est doux, timide, et blanc comme une abbesse,
Tant qu’on roucoule avec l’herbe pour canapé ;
Mais sitôt mariée, ou je suis bien trompé,
Elle sera revêche, altière et réfractaire.
Diable ! avant d’épouser, regarde au caractère !
Philosophons, mon cher, au sujet d’Oliva.
Le mariage, ami, n’est pas l’amour qui va
Chanter dans la prairie avec l’agneau qui bêle ;
Le mariage est grave. Aigris un peu la belle,
Voilà ton paradis qui décampe au grand trot.
Fais Ève acariâtre, et Satan est de trop.
Se marier !… C’est mettre en cellule son âme !
Écoute, enfant : le fond de l’homme, c’est la femme.
Pour moi, je dis toujours, lorsque je veux savoir
Si je dois sur le sort d’un homme m’émouvoir,
Je dis toujours avant de plaindre un personnage,
Non : quel fut son destin ? mais : quel fut son ménage ?
Ô blessés douloureux, ô chassés, ô proscrits,
Ô vous les grands souffrants dont on entend les cris,
Gigantesques vaincus de l’histoire, Encelades
Terrassés au milieu des sombres escalades,
Hommes des fiers combats, hommes des durs trépas,
Je vous déclare heureux et je ne vous plains pas
Si, côte à côte avec vos grands malheurs, vous n’eûtes
La contrariété de toutes les minutes.
Fils, les petits ennuis vous prennent corps à corps.
Fils, pour l’abattement des hommes hauts et forts,