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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/225

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LES GUEUX



I

MOUFFETARD. — LE MARQUIS GÉDÉON.
Une rue solitaire. Plus de murs que de maisons. Au coin d’une borne est assis un philosophe ; il est en haillons, pieds nus, avec une sébile de mendiant devant lui. Il s’appelle Mouffetard. C’est lui probablement qui plus tard a donné son nom à une rue.


MOUFFETARD.

Je croirais être au siècle enchanté de la fable
Si l’on m’offrait dix sous d’une façon affable ;
Avec dix sous j’aurais de quoi boire, manger,
Et cueillir sur Goton la fleur de l’oranger.
Une somme d’où sort le bonheur, voilà, certes,
Un beau rêve ; mais quoi ! cette rue est déserte ;
Et d’ailleurs l’idéal nous échappa toujours.
Plus qu’une ruche à miel dans la gueule d’un ours,
Plus que l’ambre au cloaque ou l’ébène à Carrare,
Un passant prodiguant dix sous dans l’ombre est rare.


Entre LE MARQUIS GÉDÉON.
GÉDÉON, apercevant Mouffetard.

Cet homme est misérable et pensif à mon gré.
Si je l’interrogeais ?

Il s’approche de Mouffetard

Si je l’interrogeais ? Écoute. Je paierai.
Je suis marquis ; je veux savoir le fond des choses
Sur tout, sur les effets ainsi que sur les causes,
Je veux la vérité. Je te vois là, rêvant,