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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/226

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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Et tu dois être, étant si pauvre, très savant.
Parle. Que penses-tu de Dieu ?

MOUFFETARD.

Parle. Que penses-tu de Dieu ? Dieu ? Je le cherche.
À l’esprit qui perd pied le dogme tend la perche.
Mais le dogme parfois casse ; on est arien,
Puis socinien, puis janséniste, puis rien.
Tu veux philosopher, marquis ? C’est une idée.
On prend à Vaugirard son vol pour la Chaldée,
Et l’on arrive au but, zéro, tout aussi bien
Que Thaïes, Pythagore, et dom Félibien.
Ô mon marquis, la mer, la terre, les espaces
Pleins d’affreux bruits, de chocs profonds, d’oiseaux rapaces,
Le ciel, cela paraît très grand dans la vapeur.
Hélas ! zéro, c’est là le fond, j’en ai bien peur.
Écoute, quand je vois les tigres, les crotales,
Les docteurs de Sorbonne et les cours prévôtales,
Quand Dieu, qui pourrait tout faire du bout du doigt,
M’escamote en avril le printemps qu’il me doit,
Mauvais payeur faisant faillite aux échéances ;
Quand, le bien-être étant une de nos créances,
Ce Dieu, qui n’est pas Dieu s’il n’est la probité,
Nous donne trop d’hiver et pas assez d’été ;
Quand il fait l’acarus qu’on distingue à la loupe ;
Quand il jette à l’écueil difforme une chaloupe
Et laisse se noyer les pauvres gens, pouvant
Empêcher tout le mal que font les coups de vent ;
Quand, sans pitié pour l’être affreux qu’il met au monde,
Procréant au hasard le laid, l’abject, l’immonde,
Il manque Antinoüs et réussit Veuillot,
J’aime mieux, ne voyant à personne un bon lot,
Douter qu’il soit, plutôt que de conclure en somme
Que cet honnête Dieu n’est pas un honnête homme.
Ainsi pensaient Ibas d’Édesse et Paul de Tyr.
Maintenant, que ce Dieu me condamne à rôtir
Au gouffre où Dante a vu Benoît et Malateste,
Pour des fautes qui sont sa faute, je proteste.
L’enfer, c’est l’homme, hélas ! Mouché par Dieu morveux.
Quant à l’âme, parlons de l’âme, si tu veux.
Ah ! tu prétends savoir la grande loi future,
Quelle prison la mort cache en son ouverture,
Ce qui t’arrivera défunt, et dans quels crocs,