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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Qu’ont faits à la cloison du destin les chinois.
Et tu n’en sauras pas plus long, si tu t’écartes
Jusqu’à Bacon, jusqu’à Pascal, jusqu’à Descartes.
Mais tu dis : Quelque chose existe. J’en conviens.
Quoi ? Le sexe. Ève, aux temps antédiluviens,
Daphnis suivant Chloé, Jean pourchassant Jeannette,
L’emportement énorme et noir de la planète
Tournant terrible autour d’un effrayant soleil,
La marquise agitant son éventail vermeil,
Les vers que pour Javotte un lycéen rédige,
L’arbre en fleur, tout cela c’est le même prodige,
L’amour. Quand Bossuet restaure Montespan,
Ce prêtre du dieu Christ obéit au dieu Pan.
Quand monsieur le curé dénonce dans sa chaire
L’idylle d’un bouvier avec une vachère,
Quand, farouche, il foudroie au prône la façon
Dont une belle fille accoste un beau garçon,
Et la bouche cherchant la bouche et non la joue,
Il ne se doute pas, pauvre homme, qu’il secoue
Un mystère, l’amour, entre ses poings brutaux.
Les saints de pierre, droits sur leurs vieux piédestaux,
Cachent des nids qu’avril peuple, et ces bons apôtres,
Quand l’oiseau vient, se font signe les uns aux autres.
Hors ma chatte et mon chat, Manon et Desgrieux,
Lise et Jacquot, rien n’est sur terre sérieux ;
Tout le reste, vois-tu, marquis plein de promesses,
Manque à ce qu’on attend, et les brelans, les messes,
Les savants, les banquiers, l’amour vaut mieux que ça,
Et, Jésus l’ayant dit, j’en crois Sancho Pança.
Ce qui fait les bouquins sacrés fort authentiques,
C’est que nous t’y trouvons, Cantique des Cantiques,
C’est qu’on voit Cupidon gambader dans le coin
Le plus sombre d’Esdras, de Stéphane et d’Alcuin.
Faire les roses, c’est l’emploi des stercoraires.
Marquis, j’ai découvert cette loi des contraires :
Pour début se haïr et pour fin s’adorer.
Quoique ne possédant que deux yeux pour pleurer,
Je suis gai. Le motif, c’est que je vois qu’on s’aime.
Le dieu Kiss règne. Ah ! certe, encore plus qu’on ne sème,
On extermine, on broie, on massacre ; ô marquis,
Sur les trônes les rois, les gueux dans les maquis,
César régnant, Mandrin poussant son estocade,
Le genre humain subit cette double embuscade ;
Le monde a pour cocher ce Dieu que nous cherchons