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LES GUEUX.

Marquis, te saisiront les êtres sépulcraux ;
Eh bien, apprends ceci, moi qui suis de l’étoffe
De Zoroastre, moi l’unique philosophe,
Moi qui dus être prêtre et fus galérien,
Moi qui sais tout, et plus que tout, je n’en sais rien.
L’homme, ce monstre, a l’âme avec lui dans sa niche ;
Si l’âme existe, elle est à peu près ce caniche
Qu’on donne au lion fauve en son noir cabanon.
Maintenant, l’âme est-elle ? Oui, certes ! Ah ! pardieu non !
Elle est ! Elle n’est pas ! Et là-dessus les sages
Se prennent aux cheveux, quand ils en ont. Leurs âges
Ne les empêchent pas de se montrer le poing.
L’âme, est-ce une ombre ? Non. Est-ce une flamme ? Point.
Qu’est l’âme ? Psitt ! Voilà ce que pensait sur l’âme
La belle Allyrhoé qui prouva qu’une femme
Peut être, au pays grec comme au pays latin,
Un sage d’autant plus qu’elle est une catin.
Cette Allyrhoé-là buvait de l’or potable,
Se baignait dans du lait divin, trait dans l’étable
D’Apis et d’Io même, et donnait au larbin,
Sacré, qui l’essuyait, trente drachmes par bain ;
Aussi je ne puis dire en quel trouble me laisse
Le décret qu’a sur nous lancé cette drôlesse.
Point d’âme, c’est fort dur. Et peu de Dieu. Si peu
Que le diable s’en sert pour allumer son feu.
Tout est doute, marquis, tout. De là le marasme
De Kant et de Voltaire, et la maigreur d’Érasme.
Moi, je plains Dieu. Peut-être on le calomnia.
Je voudrais l’opérer ; il a pour ténia
La religion ; Rome exploite son mystère.
Pauvre Dieu dont le pape est le vers solitaire.
Sous un nain parasite un colosse a langui ;
Le chêne est quelquefois dévoré par le gui ;
Ô marquis, si Dieu meurt, c’est tué par le prêtre.
Ah ! j’ai beau regarder, je ne vois rien paraître ;
Pourtant, j’ai plus que Lipse, Argolus et Manou,
Marquis, levé la tête et fléchi le genou.
Le réel qui luit, c’est la Mort qui le reflète ;
L’homme ne voit de jour qu’à travers ce squelette.
Donc, rien. Confucius a beaucoup fureté ;
Que trouve-t-il au fond d’une tasse de thé ?
Zéro. Zéro, plus Rien. C’est là tout ce qui perce
Derrière la sagesse auguste de la Perse,
À travers Delphe et l’Inde et par les trous sournois