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LA FORET MOUILLÉE.

LE PAPILLON, à un liseron.

Voilà tout le destin de l’homme. Un baiser.

LE LISERON.

Voilà tout le destin de l’homme. Un baiser. Prends.



SCÈNE II.

La pluie a tout à fait cessé. Soleil partout. Toutes sortes d’êtres.
UNE VOIX, dans l’air.

C’est le printemps qui vient, ce frère de l’aurore ;
C’est la saison qui rit, sœur de l’heure qui dore ;
C’est l’instant où verdit le sillon nourricier,
Où, sonore et gonflé des fontes du glacier,
L’Arveyron bleu s’accouple au flot jaune de l’Arve,
Où mai sort de l’hiver et le sphinx de sa larve ;
Bonheur ! Soleil ! Les maux et les froids sont finis ;
L’azur est dans le ciel, l’amour est dans les nids ;
L’amour trouble les yeux de vierge des gazelles ;
Oiseaux, mêlez vos chants ; âmes, mêlez vos ailes ;
Gloire à Dieu !

UN MOINEAU FRANC, sortant de dessous les feuilles
et secouant ses ailes.

Gloire à Dieu ! Dehors, tous !

Au signal donné par le moineau, un mouvement extraordinaire agite la forêt. Il semble que tout s’éveille et se mette à vivre. Les choses deviennent des êtres. Les fleurs prennent des airs de femmes. On dirait que les esprits des plantes sortent la tête de dessous les feuilles et se mettent à jaser. Tout parle, tout murmure, tout chuchote. Des querelles çà et là. Toutes les tiges se penchent pêle-mêle les unes vers les autres. Le vent va et vient. Les oiseaux, les papillons, les mouches vont et viennent. Les vers de terre se dressent hors de leurs trous comme en proie à un rut mystérieux. Les parfums et les rayons se baisent. Le soleil fait dans les massifs d’arbres tous les verts possibles. Pendant toute la scène, les mousses, les plantes, les oiseaux, les mouches se mêlent en groupes qui se décomposent et se recomposent sans cesse. Dans des coins, des fleurs font leur toilette, les joyeuses s’ajustant des colliers de gouttes de rosée, les mélancoliques faisant briller au soleil leur larme de pluie. L’eau de l’étang imite les frémissements d’une gaze d’argent. Les nids font de petits cris. Pour le voyant, c’est un immense tumulte ; pour l’homme, c’est une paix immense.