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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/293

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LA FORÊT MOUILLÉE.



SCÈNE III.

DENARIUS, rêvant.

C’est un peu bref, monsieur de Montmorency.Champs
Que l’orgue de l’azur emplit de ses plains chants,
Cieux où le jardinier éternel se promène
Versant les fleurs, la vie et la joie à la plaine
Des cribles du nuage, opulent arrosoir,
Vénus, astre, esprit, flamme, œil du cyclope Soir,
Ô nature, c’est vous, c’est moi ! Je vous adore.
Votre aile couve l’âme et je me sens éclore. —
Tout se donne pour rien ici, tout est gratis,
Et les petits sont grands, et les grands sont petits,
Et la création s’offre à la créature.
Ces grands arbres, seigneurs de toute la nature,
À qui Dieu pour valets donne les mois changeants,
Ne prêtent point sur gage et sont d’honnêtes gens.
Champs ! on peut être pauvre et bien avec l’aurore.
Bois, vous nous prodiguez votre souffle sonore,
Tu nous donnes, soleil, ton rayon éclatant,
Et vous ne dites pas au pauvre homme : C’est tant !
On boit quand on a soif ; on n’entend pas la source
Vous murmurer : Combien as-tu ? Voyons ta bourse.
Salut, honnête bois. Vous n’êtes pas, ô loups,
Des hommes ; les halliers ne sont point des filous.
Vent, sève, azur, salut ! Vous n’êtes pas, nuées,
Des coureuses de nuit et des prostituées.
Tout chante un opéra mystérieux ici.
De partout, du rocher, des fleurs, du tronc noirci,
De ce qui se contemple et de ce qui se cueille,
Des prés, des gouttes d’eau tombant de feuille en feuille,
Des branches saluant quelqu’un dans l’infini,
De la mouche, du vent, du nid calme et béni,
Une oreille invisible entend sortir des gammes.
L’herbe sent tressaillir les monstres cryptogames,
L’informe champignon chante un chant inconnu.
Tout est doux dans cette ombre, et tout est ingénu.
La femme y manque, bien qu’on y trouve la ronce.
L’antre pensif, pareil au sourcil qui se fronce,