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HISTORIQUE.

tous ces fragments, que c’est pour lui un passe-temps, une diversion, une distraction, une récréation, un amusement ; car il ne suit pas, comme pour ses drames, une idée ; il fait volontiers l’école buissonnière. S’il laisse de côté son don César qu’il reprendra plus tard, il se retourne vers d’autres personnages moins relevés, il met en scène des voleurs, des bandits, des gredins de haute et de basse volée.


Vers 1840, il a créé un personnage de comédie, le seigneur Maglia, pauvre, misérable même, errant, essuyant toutes les rebuffades, subissant toutes les avanies, menant la vie d’aventure, aimant, buvant, maroufle, voleur, coquin, et… philosophe, sorte de personnage protée, pratiquant les coups de main, suivant les milieux et suivant les temps avec une incomparable maestria. Il placera, à côté de son Maglia, Goulatromba, ce Goulatromba dont nous parle don César dans le quatrième acte de Ruy Blas :

C’est un homme fort doux et de vie élégante,
Un seigneur dont jamais un juron ne tomba,
Et mon ami de cœur, nommé Goulatromba…

Cet homme doux, expert dans l’art de vider d’innombrables verres au cabaret et les poches des grands seigneurs, à coups de bâtons, au coin d’un bois, est un des artistes préférés de Victor Hugo dans sa troupe de gredins. Sa galerie de mandrins, dont il expose les portraits de 1848 à 1852, est d’ailleurs bien meublée. C’est Fiasque, c’est Gaboardo, c’est Gavoulagoule, c’est Million.

Enfin Victor Hugo enrichit son musée d’une autre catégorie de portraits ; ce sont de pauvres diables, des miséreux, des bohèmes, des êtres inoffensifs, déguenillés, qui n’ont pas le sou, vivant au jour le jour, attendant une bonne aubaine, du ciel ou du hasard, supportant leur malheur avec une philosophie aimable, trouvant des consolations dans l’amour désintéressé d’une Margot ou d’une Suzon. Ce sont les acteurs de quelque comédie qu’il désigne sous le nom : les Étudiants. C’est Tituti, Frévent, Denarius, Bévent.

Tous ces personnages, d’origines diverses, se meuvent, s’agitent dans cette période de 1850 à 1858. Et dans ces fragments de dialogue, il y a de la belle humeur, de l’esprit, parfois un mot de la fin qui laisserait croire plutôt à une série de saynètes détachées qu’à quelque grande comédie.


De cette production luxuriante de scènes, on peut détacher un fragment, qu’on a lu dans le Reliquat et qui offre un intérêt particulier parce qu’il peut être considéré comme une des origines les plus lointaines du Théâtre en liberté. Il appartient à la période de 1848 à 1852. Il met en scène : le duc, Maglia et le marquis. Le duc reproche au marquis de choisir une jolie fille, Inez, dans un taudis. Maglia répond : « C’est la fable : le Coq, le Fumier et la Perle ». Le marquis prie Maglia d’aller vers Inez, de lui remettre une bourse ; et le bandit philosophe riposte qu’il s’agit de changer la perle en grain de mil.

Or n’est-ce pas précisément la fable le Coq et la Perle qui, en 1865, inspirera la comédie Margarita ? Le coq cherche un grain de mil et ne trouve qu’une perle : Gallus escam quarens margaritam reperit. C’est là l’origine des Deux Trouvailles de Gallus, qui formeront primitivement et provisoirement une des parties du Théâtre en liberté. Le rapprochement était intéressant à signaler.


En 1854, Victor Hugo écrit la Forêt mouillée, cette jolie et alerte comédie ; et sa verve ne s’épuise pas ; car c’est de cette même époque, en 1853 et 1854, que datent les Comédies injouables qui se jouent sans cesse, comme Susurrant voces, Cocarde et Louchon, d’autres encore qui