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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

il désarticulait et démembrait ainsi son Théâtre en liberté, il se rendait bien compte qu’il ne pourrait pas publier plusieurs séries, comme il l’avait primitivement annoncé à Lacroix en 1867. En revanche, en raison du nombre de comédies amorcées et non écrites, de saynètes isolées, de fragments destinés à figurer dans quelque drame, il prévoyait que des manuscrits incomplets ne pourraient être utilisés dans son Théâtre en liberté, et ne seraient probablement jamais achevés ; et une note, datée du 20 mai 1870, portant primitivement le titre de Toute la lyre, biffé, puis remplacé par celui de Toute l’âme, disait au sujet de ce ou de ces volumes projetés sous ce dernier titre : « Mes fils, après ma mort, le compléteront avec tous les fragments, drame, comédie, satire, épopée[1] ».

Cependant, sur la couverture de l’Année terrible, le 20 avril 1872, malgré l’amputation des Deux Trouvailles de Gallus, Victor Hugo annonçait bravement le Théâtre en liberté en deux volumes. C’est qu’à ce moment il n’avait pas lâché ses bandits puisque, de 1868 à 1872, il persévérait à faire dialoguer Fiasque, Million, Goulatromba, Gaboardo, Gavoulagoule, et même, le 10 septembre 1872, il improvise une longue scène entre Mouffetard et le marquis Gédéon ; et puis il n’avait pas abandonné sa comédie de don César et sa comédie de Maglia ; il avait toutes sortes de projets en tête ; il avait même arrêté les titres et ébauché parfois les scénarios comme : la Clémence d’Hercule, les Pauvres, le Laquais du sorcier, l’Ivrogne, Philémon perverti, les Enfants, etc., et aussi les Mômes.

Il avait même imaginé quantité de noms bizarres comme : Brulebec, Grive-la-braillarde, Casseculotte ; Borborygmes, philosophe ; la Poitrasson, portière ; le docteur Moyenagium, le vicomte Charybde, la marquise Scylla ; Gribluche, voleur ; Supracier, gendarme ; Pièce-cent-sous, drôlesse ; Tonitru, bon garçon ; le géant Trumagiloccobalgabruth ; le nain Virgule ; Tocad Alasdoca, jolie fille ; Amen, courtisan ; la petite Rablette ; Murmure, portier ; Place-Maubert, fille de joie ; Philandre, prédicateur.

Ces noms de personnages, dont nous citons les plus drôles, ne sont pas jetés au hasard ; comme on l’a vu dans le Reliquat, ils sont groupés, formant des listes répondant sans doute à des projets de pièces.


En 1873, Victor Hugo disposait seulement des pièces suivantes : le Prologue, la Grand’mère, l’Épée, la Forêt mouillée, Mangeront-ils ? et Sur la lisière d’un bois, qu’il venait d’achever. Il ne put réaliser tous ses projets. S’il avait voulu même ajouter les Comédies injouables qui se jouent sans cesse, il n’aurait pas eu la valeur de deux volumes, voilà pourquoi, conformément à son désir, exprimé dans la note de 1870, des comédies parurent dans Toute la lyre.


On a dû juger, par le texte nouveau et le Reliquat que nous avons publiés, ce qu’aurait pu être le Théâtre en liberté, tel que Victor Hugo l’avait conçu. Ce volume, enrichi de nombreux fragments inédits, nous montre l’esprit, la belle humeur, la fantaisie savoureuse de celui qui, dans ses heures de détente et de délassement, savait donner la note joyeuse, et même comique, pour son propre amusement et l’amusement de ses lecteurs d’aujourd’hui et des spectateurs de demain. Nous disons spectateurs, car si la Grand’mère a été jouée avec succès à l’Odéon, si Margarita et, par suite, les Deux Trouvailles de Gallus paraissaient « jouables » à Victor Hugo, il n’est pas douteux qu’il se trouvera un théâtre pour révéler au public l’auteur dramatique sous un jour nouveau et pour jouer les

  1. Voir l’historique des Quatre Vents de l’Esprit.