Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome VI.djvu/237

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Croiser les bras, c’est assembler son conseil. Que faire ? Redescendre ? Pas possible. Empoigné, comme dit monsieur le vicomte de Foucauld. Demeurer ici ? Pas possible. Les locataires montent et descendent. Qu’est-ce que je fais là ? Ma tenue manque de respectabilité. Dilemme : si je m’en retourne par où je suis venu, je suis pris. Si je reste, je suis pris. Pour bien posée, la question est bien posée. Mais que faire ?

Il regarde la fenêtre.

Comme c’est drôle, les oiseaux ! ça se moque de tout. Voler, quel bête de mot ! il a deux sens. L’un signifie liberté, l’autre signifie prison.

Cris au dehors : « A la chie-en-lit ! » Chants. Bruits de trompes. — On entend des trompes et du cornet à bouquin.

Nous sommes en carnaval. Il y a pourtant des gens qui s’amusent ! La nature ne prend aucune part à ma détresse.

Rêvant.

Les agents m’ont reconnu, quels gueux ! Est-il possible de pourchasser un pauvre homme comme cela qui ne fait de mal à personne, uniquement parce qu’il a accompli autrefois une sottise. C’est de mon vieux temps, j’étais enfant. C’est égal, ça me suit. Ça ne pardonne pas, une sottise. On flanque un pauvre diable en surveillance dans un trou de province, surveillance, ça veut dire famine, il ne peut pas gagner sa vie, il s’esquive, le voilà à Paris. Qu’est-ce que tu viens faire à Paris ? — Je viens devenir honnête homme, là. Paris est grand, Paris est bon ; je viens m’y perdre, et m’y retrouver. Je vais y changer de nom et y changer de métier. Voyons, veut-on de moi dans l’honnêteté ? Je viens planter dans le sol parisien l’oignon de la vertu, mais laissez-lui le temps de pousser, que diable ! Point. — Ah ! c’est toi, vaurien ! Et la police vous saute à la gorge. Et je n’ai plus que le choix de la cave ou du toit. Dans la cave avec les taupes, sur le toit avec les moineaux. — Oh ! les oiseaux ! les oiseaux ! quel chef-d’œuvre. C’est çà qui est toujours en rupture de ban.

Rêvant.

Ah ! ils ont le chat ! Moi, j’ai monsieur Delavau.

Rêvant.

La première sottise, fil à la patte qui ne se casse jamais. Ô qui que vous soyez, qui ne voulez pas faire la deuxième sottise, ne faites pas la première. Je passais, j’étais gamin, le tiroir d’une fruitière était entr’ouvert, il bâillait, il avait l’air de s’ennuyer, je lui fis une farce, je lui chipai douze sous. On me happa, on me soutint que j’avais forcé le tiroir. J’avais un peu plus de seize ans. C’est grave. Quinze ans et onze mois, on est un polisson ; quinze ans et treize mois, on est un bandit. On me trouva des dispositions. On pensa que j’avais de l’étoffe. Je n’étais pas même un filou ; on me jugea digne de