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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 1.djvu/189

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L’ÉTAT DE SIÉGE ET LA LIBERTÉ.

M. Flocon. — Je demande la parole.

M. Victor Hugo. — Eh quoi ! messieurs, vous raturez la censure dans votre constitution et vous la maintenez dans votre gouvernement ! À une époque comme celle où nous sommes, où il y a tant d’indécision dans les esprits… (Bruit.)

Le président. — Il s’agit d’une des libertés les plus chères au pays ; je réclame pour l’orateur le silence et l’attention de l’assemblée. (Très bien ! très bien !)

M. Victor Hugo. — Je fais remarquer aux honorables membres qui m’interrompent en ce moment qu’ils outragent deux libertés à la fois, la liberté de la presse, que je défends, et la liberté de la tribune, que j’invoque.

Comment ! il n’est pas permis de vous faire remarquer qu’au moment où vous venez de déclarer que la censure était abolie, vous la maintenez ! (Bruit. Parlez ! parlez !) Il n’est pas permis de vous faire remarquer qu’au moment où le peuple attend des solutions, vous lui donnez des contradictions ! Savez-vous ce que c’est que les contradictions en politique ? Les contradictions sont la source des malentendus, et les malentendus sont la source des catastrophes. (Mouvement.)

Ce qu’il faut en ce moment aux esprits divisés, incertains de tout, inquiets de tout, ce ne sont pas des hypocrisies, des mensonges, de faux semblants politiques, la liberté dans les théories, la censure dans la pratique ; non, ce qu’il faut à tous dans ce doute et dans cette ombre où sont les consciences, c’est un grand exemple en haut, c’est dans le gouvernement, dans l’assemblée nationale, la grande et fière pratique de la justice et de la vérité ! (Agitation prolongée.)

M. le ministre de la justice invoquait tout à l’heure la nécessité. Je prends la liberté de lui faire observer que la nécessité est l’argument des mauvaises politiques ; que, dans tous les temps, sous tous les régimes, les hommes d’état, condamnés par une insuffisance, qui ne venait pas d’eux quelquefois, qui venait des circonstances mêmes, se sont appuyés sur cet argument de la nécessité. Nous avons vu déjà, et souvent, sous le régime antérieur, les gouvernants recourir à l’arbitraire, au despotisme, aux suspensions de