eu l’inconvénient ou l’honneur, depuis Février, d’être quelquefois mis sur le théâtre. Que m’importe ! J’aime mieux ces plaisanteries, inoffensives après tout, que telles calomnies répandues contre moi par un journal dans ses cinquante mille exemplaires.
Quand on me met sur la scène, j’ai tout le monde pour moi ; quand on me travestit dans un journal, j’ai contre moi les trois quarts des lecteurs. Et cependant je ne m’inquiète pas de la liberté de la presse, je ne fais point de procès aux journaux qui me travestissent, je ne leur écris pas même de lettres avec un huissier pour facteur. Sachez donc accepter et comprendre la liberté de la pensée sous toutes ses formes, la liberté du théâtre comme la liberté de la presse ; c’est l’air même que vous respirez. Contentez-vous, quand les théâtres libres ne dépassent point certaines bornes que la loi peut préciser, de leur faire une noble et puissante guerre avec vos théâtres nationaux et municipaux ; la victoire vous restera.
M. Scribe. — Les généreuses idées que vient d’émettre M. Victor Hugo sont en partie les miennes ; mais il me semble qu’elles gagneraient à être réalisées dans un système moins compliqué. Le système de M. Victor Hugo est double, et ses deux parties semblent se contredire. Dans ce système, où la moitié des théâtres serait privilégiée et l’autre moitié libre, il y aurait deux choses à craindre : ou bien les théâtres du gouvernement et de la ville ne donneraient que des pièces officielles où personne n’irait, ou bien ils pourraient à leur gré user des ressources immenses de leurs subventions ; dans ce cas, les théâtres libres seraient évidemment écrasés.
Pourquoi, alors, permettre à ceux-ci de soutenir une lutte inégale, qui doit fatalement se terminer par leur ruine ? Si le principe de liberté n’est pas bon en haut, pourquoi serait-il bon en bas ? Je voudrais, et sans invoquer d’autres motifs que ceux que vient de me fournir M. Hugo, que tous les théâtres fussent placés entre les mains du gouvernement.
M. Victor Hugo. — Je ne prétends nullement établir des théâtres privilégiés ; dans ma pensée, le privilége disparaît. Le privilége ne crée que des théâtres factices. La liberté vaudra mieux ; elle fonctionnera pour l’industrie théâtrale comme pour toutes les autres. La demande réglera la production. La liberté est la base de tout mon système, il est franc et complet ; mais je veux la liberté pour tout le monde, aussi bien pour l’état que pour les particuliers. Dans mon système, l’état a tous les droits de l’individu ; il peut fonder un théâtre comme il peut créer un journal. Seulement il a plus de devoirs encore. J’ai indiqué comment l’état, pour remplir ses devoirs, devait user de la liberté commune ; voilà tout.
M. le président. — Voulez-vous me permettre de vous questionner sur un détail ? Admettriez-vous dans votre système le principe du cautionnement ?
M. Victor Hugo. — J’en ai déjà dit un mot tout à l’heure ; je