M. Mélesville. — Qui est-ce qui nommera et qui est-ce qui destituera les directeurs ?
M. Victor Hugo. — Le ministre compétent les nommera, et ce sera lui aussi qui les destituera. Il en sera pour eux comme pour les préfets.
M. Mélesville. — Vous leur faites là une position singulière. Supposez un homme honorable, distingué, qui aura administré avec succès la Comédie-Française ; un ministre lui a demandé une pièce d’une certaine couleur politique, le ministre suivant sera défavorable à cette couleur politique. Le directeur, malgré tout son mérite et son service, sera immédiatement destitué.
M. Alexandre Dumas. — C’est un danger commun à tous les fonctionnaires.
M. le président. — Un seul système répressif paraît possible avec le régime légal actuel, c’est celui qui confie la répression aux tribunaux ordinaires. On a déjà signalé les dangers de ce système ; les juges ne peuvent souvent saisir le délit, parce que, pour l’apprécier en pleine connaissance de cause, il faudrait avoir assisté à la représentation ; puis, quand viendrait la répression, souvent il serait trop tard ; représentée devant douze à quinze cents personnes réunies ensemble, une pièce dangereuse peut avoir produit un mal irréparable, et le procès ne ferait souvent qu’aggraver et propager le scandale. Il paraît impossible d’organiser la censure répressive. Aussi, en Angleterre, où la liberté existe sous toutes ses formes, la censure préventive est admise et exercée avec une grande sévérité et un arbitraire absolu.
M. Victor Hugo. — Nulle comparaison à faire, selon moi, entre la question du théâtre en Angleterre et la question du théâtre en France.
En Angleterre, le théâtre, à l’heure qu’il est, n’existe plus, pour ainsi dire. Tout le théâtre anglais est dans Shakespeare, comme toute la poésie espagnole est dans le Romancero. Depuis Shakespeare, rien. Deux théâtres défraient Londres, qui est deux fois plus grand que Paris. De là le peu de souci des anglais pour leur théâtre. Ils l’ont abandonné à cette espèce de pruderie publique, qui est si puissante en Angleterre, qui y gêne tant de libertés, et qu’on appelle le cant.
Or, où Londres a deux théâtres, Paris en a vingt ; où l’Angleterre n’a que Shakespeare (pardon d’employer ce diminutif pour un si grand homme !), nous avons Molière, Corneille, Rotrou, Racine, Voltaire, Le Sage, Regnard, Marivaux, Diderot, Beaumar-