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NOTES. — CONSEIL D’ÉTAT.

Ce ne sont point là des utopies, des rêves. Il faut organiser. L’autorité avait organisé autrefois assez mal, car rien de véritablement bon ne peut sortir d’elle seule. La liberté l’a débordée et l’a vaincue à jamais. La liberté est un principe fécond ; mais, pour qu’elle produise ce qu’elle peut et doit produire, il faut l’organiser.

Organisez donc dans le sens de la liberté, et non pas dans le sens de l’autorité. La liberté, elle est maintenant nécessaire. Pourquoi, d’ailleurs, s’en effrayer ? Nous avons la liberté du théâtre depuis dix-huit mois ; quel grand danger a-t-elle fait courir à la France ?

Et cependant elle existe maintenant sans être entourée d’aucune des garanties que je voudrais établir. Il y a eu de ces pièces qu’on appelle réactionnaires ; savez-vous ce qui en est résulté ? C’est que beaucoup de gens qui n’étaient pas républicains avant ces pièces le sont devenus après. Beaucoup des amis de la liberté ne voulaient pas de la république, parce qu’ils croyaient que l’intolérance était dans la nature de ce gouvernement ; ces hommes-là se sont réconciliés avec la république le jour où ils ont vu qu’elle donnait un libre cours à l’expression des opinions, et qu’on pouvait se moquer d’elle, qu’elle était bonne princesse, en un mot. Tel a été l’effet des pièces réactionnaires. La république s’est fait honneur en les supportant.

Voyez maintenant ce qui arrive ! La réaction contre la réaction commence. Dernièrement, on a représenté une pièce ultra-réactionnaire ; elle a été sifflée. Et c’est dans ce moment que vous songeriez à vous donner tort en rétablissant la censure ! Vous relèveriez à l’instant même l’esprit d’opposition qui est au fond du caractère national !

Ce qui s’est passé pour la politique s’est passé aussi pour la morale. En réalité, il s’est joué depuis dix-huit mois moins de pièces décolletées qu’il ne s’en jouait d’ordinaire sous l’empire de la censure. Le public sait que le théâtre est libre ; il est plus difficile. Voilà la situation d’esprit où est le public. Pourquoi donc vouloir faire mal ce que la foule fait bien ?

Laissez là la censure, organisez ; mais, je vous le répète, organisez la liberté.