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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 1.djvu/44

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LE DROIT ET LA LOI.

sissement des vengeances gonflées de pleurs et à la sinistre répercussion des rancunes ! Allez dans les bois, écoutez les échos, et songez aux représailles ; cette voix obscure et lointaine qui vous répond, c’est votre haine qui revient contre vous. Prenez garde, l’avenir est bon débiteur, et votre colère, il vous la rendra. Regardez les berceaux, ne leur noircissez pas la vie qui les attend. Si nous n’avons pas pitié des enfants des autres, ayons pitié de nos enfants. Apaisement ! apaisement ! Hélas ! nous écoutera-t-on ?

N’importe, persistons, nous qui voulons qu’on promette et non qu’on menace, nous qui voulons qu’on guérisse et non qu’on mutile, nous qui voulons qu’on vive et non qu’on meure. Les grandes lois d’en haut sont avec nous. Il y a un profond parallélisme entre la lumière qui nous vient du soleil et la clémence qui nous vient de Dieu. Il y aura une heure de pleine fraternité, comme il y a une heure de plein midi. Ne perds pas courage, ô pitié ! Quant à moi, je ne me lasserai pas, et ce que j’ai écrit dans tous mes livres, ce que j’ai attesté par tous mes actes, ce que j’ai dit à tous les auditoires, à la tribune des pairs comme dans le cimetière des proscrits, à l’assemblée nationale de France comme à la fenêtre lapidée de la place des Barricades de Bruxelles, je l’attesterai, je l’écrirai, et je le dirai sans cesse : il faut s’aimer, s’aimer, s’aimer ! Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux. L’égoïsme social est un commencement de sépulcre. Voulons-nous vivre, mêlons nos cœurs, et soyons l’immense genre humain. Marchons en avant, remorquons en arrière. La prospérité matérielle n’est pas la félicité morale, l’étourdissement n’est pas la guérison, l’oubli n’est pas le paiement. Aidons, protégeons, secourons, avouons la faute publique et réparons-la. Tout ce qui souffre accuse, tout ce qui pleure dans l’individu saigne dans la société, personne n’est tout seul, toutes les fibres vivantes tressaillent ensemble et se confondent, les petits doivent être sacrés aux grands, et c’est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. J’ai dit.

Paris, juin 1875.