Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/137

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considérons cet état de choses lamentable avec une angoisse croissante.

Insistons-y, répétons-le, crions-le, et qu’on le sache et qu’on ne l’oublie plus désormais, je viens de le démontrer les faits à la main, et cela est incontestable, et l’histoire le dira, et je défie qui que ce soit de le nier, tout ceci sort du Deux-Décembre.

Ôtez l’intrigue dite affaire des Lieux-Saints, ôtez la clef, ôtez l’envie de sacre, ôtez le cadeau à faire au pape, ôtez le Deux-Décembre, ôtez M. Bonaparte ; vous n’avez pas la guerre d’orient.

Oui, ces flottes, les plus magnifiques qu’il y ait au monde, sont humiliées et amoindries ; oui, cette généreuse cavalerie anglaise est exterminée ; oui, les écossais gris, ces lions de la montagne ; oui, nos zouaves, nos spahis, nos chasseurs de Vincennes, nos admirables et irréparables régiments d’Afrique sont sabrés, hachés, anéantis ; oui, ces populations innocentes, ― et dont nous sommes les frères, car il n’y a pas d’étrangers pour nous, ― sont écrasées ; oui, parmi tant d’autres, ce vieux général Cathcart et ce jeune capitaine Nolan, l’honneur de l’uniforme anglais, sont sacrifiés ; oui, les entrailles et les cervelles, arrachées et dispersées par la mitraille, pendent aux broussailles de Balaklava ou s’écrasent aux murs de Sébastopol ; oui, la nuit, les champs de bataille pleins de mourants hurlent comme des bêtes fauves ; oui, la lune éclaire cet épouvantable charnier d’Inkermann où des femmes, une lanterne à la main, errent çà et là parmi les morts, cherchant leurs frères ou leurs maris, absolument comme ces autres femmes qui, il y a trois ans, dans la nuit du 4 décembre, regardaient l’un après l’autre les cadavres du boulevard Montmartre[1] ; oui, ces calamités couvrent l’Europe ; oui, ce sang, tout ce sang ruisselle en Crimée ; oui, ces veuves pleurent, oui, ces mères se tordent les bras, ― parce qu’il a pris fantaisie à M. Bonaparte, l’assassin de Paris, de se faire bénir et sacrer par M. Mastaï, l’étouffeur de Rome !

Et maintenant, méditons un moment, cela en vaut la peine.

  1. Voir aux Notes.