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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/138

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Certes, si parmi les intrépides régiments français qui, côte à côte avec la vaillante armée anglaise, luttent devant Sébastopol contre toute la force russe, si, parmi ces combattants héroïques, il y a quelques-uns de ces tristes soldats qui, en décembre 1851, entraînés par des généraux infâmes, ont obéi aux lugubres consignes du guet-apens, les larmes nous viennent aux yeux, nos vieux cœurs français s’émeuvent, ce sont des fils de paysans, ce sont des fils d’ouvriers, nous crions pitié ! nous disons : ils étaient ivres, ils étaient aveugles, ils étaient ignorants, ils ne savaient ce qu’ils faisaient ! et nous levons les mains au ciel, et nous supplions pour ces infortunés. Le soldat, c’est l’enfant ; l’enthousiasme en fait un héros ; l’obéissance passive peut en faire un bandit ; héros, d’autres lui volent sa gloire ; bandit, que d’autres aussi prennent sa faute. Oui, devant le mystérieux châtiment qui commence, mon Dieu ! grâce pour les soldats ; mais quant aux chefs, faites !

Oui, proscrits, laissons faire le juge. Et voyez ! La guerre d’orient, je viens de vous le rappeler, c’est le fait même du Deux-Décembre arrivé pas à pas, et de transformation en transformation, à sa conséquence logique, l’embrasement de l’Europe. Ô profondeur vertigineuse de l’expiation ! le Deux-Décembre se retourne, et le voici qui, après avoir tué les nôtres, dépêche les siens. Il y a trois ans, il se nommait coup d’état et il assassinait Baudin ; aujourd’hui il se nomme guerre d’orient, et il exécute Saint-Arnaud. La balle qui, dans la nuit du 4, sur l’ordre de Lourmel, tua Dussoubs devant la barricade Montorgueil, ricoche dans les ténèbres selon on ne sait quelle loi formidable et revient fusiller Lourmel en Crimée. Nous n’avons pas à nous occuper de cela. Ce sont les coups sinistres de l’éclair ; c’est l’ombre qui frappe ; c’est Dieu.

La justice est un théorème ; le châtiment est rigide comme Euclide ; le crime a ses angles d’incidence et ses angles de réflexion ; et nous, hommes, nous tressaillons quand nous entrevoyons dans l’obscurité de la destinée humaine les lignes et les figures de cette géométrie énorme que la foule appelle hasard et que le penseur appelle providence.

Le curieux, disons-le en passant, c’est que la clef est inutile. Le pape, voyant hésiter l’Autriche, et d’ailleurs, flai-