Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/162

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ce pays qu’un homme tenant le pouvoir à un titre quelconque, un ministre, par exemple (c’est ce que vous étiez, monsieur), s’il arrivait que cet homme, sous prétexte qu’il aurait, devant les hommes et devant Dieu, juré fidélité à la constitution, prît une nuit l’Angleterre à la gorge, brisât le parlement, renversât la tribune, jetât les membres inviolables des assemblées dans les cabanons de Millbank et de Newgate, démolît Westminster, fit du sac de laine l’oreiller de son corps de garde, chassât les juges à coups de bottes, liât les mains derrière le dos à la justice, bâillonnât la presse, écrasât les imprimeries, étranglât les journaux, couvrît Londres de canons et de bayonnettes, vidât les fourgons de la Banque dans les poches de ses soldats, prît les maisons d’assaut, égorgeât les hommes, les femmes, les vieillards et les enfants, fît de Hyde-Park une fosse d’arquebusades nocturnes, mitraillât la Cité, mitraillât le Strand, mitraillât Régent street, mitraillât Charing Cross, vingt quartiers de Londres, vingt comtés d’Angleterre, encombrât les rues des cadavres des passants, emplît les morgues et les cimetières, fît la nuit partout, le silence partout, la mort partout, supprimât, en un mot, d’un seul coup, la loi, la liberté, le droit, la nation, le souffle, la vie, qu’est-ce que le peuple anglais ferait à cet homme ? ― Avant que la phrase soit finie, vous verriez sortir de terre d’elle-même et se dresser devant vous l’échelle de l’échafaud !

Oui, l’échafaud. Et, si hideux que soient les crimes que je viens d’énumérer, je prononce ce mot, ― pourquoi m’en cacherais-je ? ― avec un serrement de cœur ; car la suprême parole du progrès, confessée par nous, démocrates-socialistes, n’a pas jusqu’à cette heure été acceptée en Angleterre, et pour ce grand peuple insulaire, arrêté à mi-côte du dix-neuvième siècle et à quelque distance du sommet de la civilisation, la vie humaine n’est pas encore inviolable.

Il faut être sur ce haut plateau de l’exil et de l’épreuve où nous sommes pour embrasser l’horizon entier de la vérité et pour comprendre que toute vie humaine, même votre vie humaine à vous, monsieur, est sacrée.

Ce n’est pas du reste de cette façon, et du haut d’un