Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/166

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La persécution. Soit.

Quelle que soit cette persécution, quelque forme qu’elle prenne, sachez ceci, nous l’accueillerons avec orgueil et joie ; et pendant qu’on vous saluera, nous la saluerons. Ce n’est pas nouveau ; toutes les fois qu’on a crié : Ave, Cæsar, l’écho du genre humain a répondu : Ave, dolor.

Quelle qu’elle soit, cette persécution, elle n’ôtera pas de nos yeux, ni des yeux de l’histoire, l’ombre hideuse que vous avez faite. Elle ne nous fera pas perdre de vue votre gouvernement du lendemain du coup d’état, ce banquet catholique et soldatesque, ce festin de mitres et de shakos, cette mêlée du séminaire et de la caserne dans une orgie, ce tohu-bohu d’uniformes débraillés et de soutanes ivres, cette ripaille d’évêques et de caporaux où personne ne sait plus ce qu’il fait, où Sibour jure et où Magnan prie, où le prêtre coupe son pain avec le sabre et où le soldat boit dans le ciboire. Elle ne nous fera pas perdre de vue l’éternel fond de votre destinée, cette grande nation éteinte, cette mort de la lumière du monde, cette désolation, ce deuil, ce faux serment énorme, Montmartre qui est une montagne sur votre horizon sinistre, le nuage immobile des fusillades du Champ de Mars ; là-bas, dressant leur triangle noir, les guillotines de 1852, et, là, à nos pieds, dans l’obscurité, cet océan qui charrie dans ses écumes vos cadavres de Cayenne.

Ah ! la malédiction de l’avenir est une mer aussi, et votre mémoire, cadavre horrible, roulera à jamais dans ses vagues sombres !

Ah ! malheureux ! avez-vous quelque idée de la responsabilité des âmes ? Quel est votre lendemain ? votre lendemain sur la terre ? votre lendemain dans le tombeau ? qu’est-ce qui vous attend ? croyez-vous en Dieu ? qui êtes-vous ?

Quelquefois, la nuit, ne dormant pas, le sommeil de la patrie est l’insomnie du proscrit, je regarde à l’horizon la France noire, je regarde l’éternel firmament, visage de la justice éternelle, je fais des questions à l’ombre sur vous, je demande aux ténèbres de Dieu ce qu’elles pensent des vôtres, et je vous plains, monsieur, en présence du silence formidable de l’infini.

VICTOR HUGO.