— Seulement, pour ma responsabilité devant mes chefs, écrivez-moi sur mon livre votre volonté.
Et il présenta son livre de bord au passager, qui écrivit sous sa dictée : « Je désire voir la flotte anglaise », et signa.
Un moment après, le steamer obliquait à tribord, laissait à gauche les Aiguilles et la rivière de Southampton et entrait dans la rade de Sheerness.
Le spectacle était beau en effet. Toutes les batteries mêlaient leurs fumées et leurs tonnerres ; les silhouettes des massifs navires cuirassés s’échelonnaient les unes derrière les autres dans une brume rougeâtre, vaste pêle-mêle de mâtures apparues et disparues ; le Normandy passait au milieu de ces hautes ombres, salué par les hurrahs ; cette course à travers la flotte anglaise dura plus de deux heures.
Vers sept heures, quand le Normandy arriva à Southampton, il était pavoisé.
Un des amis du capitaine Harvey, M. Rascol, directeur du Courrier de l’Europe, l’attendait sur le port ; il s’étonna du navire pavoisé.
— Pour qui donc avez-vous pavoisé, capitaine ? Pour le khédive ?
Le capitaine répondit :
— Pour le proscrit.
Pour le proscrit. Traduisez : Pour la France.
Nous n’aurions pas raconté ce fait, s’il n’empruntait une grandeur singulière à la fin du capitaine Harvey.
Cette fin, la voici.
Trois ans après cette revue de Sheerness, très peu de temps après avoir remis à son passager de juillet 1867 une adresse des marins de la Manche, dans la nuit du 17 mars 1870, le capitaine Harvey faisait son trajet habituel de Southampton à Guernesey. Une brume couvrait la mer. Le capitaine Harvey était debout sur la passerelle du steamer, et manœuvrait avec précaution, à cause de la nuit et du brouillard. Les passagers dormaient.
Le Normandy était un très grand navire, le plus beau peut-être des bateaux-poste de la Manche, six cents tonneaux, deux cent vingt pieds anglais de long, vingt-cinq de large ; il était « jeune », comme disent les marins,