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CE QUE C’EST QUE L’EXIL.

Cette hâte pouvait faire chavirer les canots. Ockleford, le lieutenant, et les trois contre-maîtres, Goodwin, Bennett et West, continrent cette foule éperdue d’horreur. Dormir, et tout à coup, et tout de suite, mourir, c’est affreux.

Cependant, au-dessus des cris et des bruits, on entendait la voix grave du capitaine, et ce bref dialogue s’échangeait dans les ténèbres :

— Mécanicien Locks ?

— Capitaine ?

— Comment est le fourneau ?

— Noyé.

— Le feu ?

— Éteint.

— La machine ?

— Morte.

Le capitaine cria :

— Lieutenant Ockleford ?

Le lieutenant répondit :

— Présent.

Le capitaine reprit :

— Combien avons-nous de minutes ?

— Vingt.

— Cela suffit, dit le capitaine. Que chacun s’embarque à son tour. Lieutenant Ockleford, avez-vous vos pistolets ?

— Oui, capitaine.

— Brûlez la cervelle à tout homme qui voudrait passer avant une femme.

Tous se turent. Personne ne résista ; cette foule sentant au-dessus d’elle cette grande âme.

La Mary, de son côté, avait mis ses embarcations à la mer, et venait au secours de ce naufrage qu’elle avait fait.

Le sauvetage s’opéra avec ordre et presque sans lutte. Il y avait, comme toujours, de tristes égoïsmes ; il y eut aussi de pathétiques dévouements[1].

Harvey, impassible à son poste de capitaine, commandait, dominait, dirigeait, s’occupait de tout et de tous, gouvernait avec calme cette angoisse, et semblait donner

  1. Voir aux Notes.