Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
CE QUE C’EST QUE L’EXIL.

contre le reître, la justice contre le juge, le flambeau contre le bûcher, et Dieu contre le prêtre. De là ce long cri qui remplit ce livre. De toutes parts, nous venons de le dire et dans ce livre on le verra, les détresses s’adressaient à lui, sachant qu’il ne reculait devant aucun devoir. Les opprimés voyaient en lui l’accusateur public du crime universel. Il suffit, pour accepter cette mission, d’être une âme, et, pour remplir cette fonction, d’être une voix. Une âme probe et une voix libre, il a été cela. Il entendait des appels à l’horizon, et du fond de son isolement il y répondait. C’est là ce qu’on va lire. Toutes les persécutions des maîtres se déchaînaient sur lui, et il y avait, et il y a encore, sur son nom une inexprimable condensation de haine ; mais qu’est-ce que cela fait, et qu’importe ? Il n’en a pas moins eu le fier bonheur d’être proscrit vingt ans, et de tenir tête, lui solitaire à toutes les multitudes, lui désarmé à toutes les légions, lui rêveur à tous les meurtriers, lui banni à tous les despotes, lui atome à tous les colosses, n’ayant en lui que cette seule force, un rayon de lumière.

Cette lumière, c’était, nous l’avons dit, le droit, l’éternel droit.

Il remercie Dieu. Pendant tout le temps qu’il faut à un front de quarante ans pour devenir un front de soixante ans, il a vécu de cette vie hautaine. Il a été l’expulsé, le traqué, le chassé. Il a été abandonné de tous et n’a abandonné personne. Il a connu l’excellence du désert ; c’est au désert qu’est l’écho. Là on entend la clameur des peuples. Pendant que les oppresseurs travaillaient au mal sous la fixité de son regard, il a tâché de travailler au bien. Il a laissé tous les tyrans manier toutes les foudres au-dessus de sa tête, n’ayant, lui, d’autre souci que la calamité publique. Il a habité un écueil, il a rêvé, médité, songé, tranquille sous une nuée de colère et de menaces ; et il se déclare satisfait ; car de quoi peut-on se plaindre quand on a eu vingt ans auprès de soi et avec soi, la justice, la raison, la conscience, la vérité, le droit, et la mer aux bruits immenses ?

Et dans toute cette ombre il a été aimé. La haine n’a pas été seule sur lui ; un sombre amour rayonnait jusqu’à sa