Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/97

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toutes les bouches qui disent : démocratie, que toutes les voix de l’ancien et du nouvel évangile sèment et répandent aujourd’hui d’un bout, du monde à l’autre, les unes au nom de l’Homme-Dieu, les autres au nom de l’Homme-Peuple ; si ces doctrines sont justes, si ces idées sont vraies ; si le vivant est frère du vivant, si la vie de l’homme est vénérable, si l’âme de l’homme est immortelle ; si Dieu seul a le droit de retirer ce que Dieu seul a eu le pouvoir de donner ; si la mère qui sent l’enfant remuer dans ses entrailles est un être béni, si le berceau est une chose sacrée, si le tombeau est une chose sainte, ― insulaires de Guernesey, ne tuez pas cet homme !

Je dis : ne le tuez pas, car, sachez-le bien, quand on peut empêcher la mort, laisser mourir, c’est tuer.

Ne vous étonnez pas de cette instance qui est dans mes paroles. Laissez, je vous le dis, le proscrit intercéder pour le condamné. Ne dites pas : que nous veut cet étranger ? Ne dites pas au banni : de quoi te mêles-tu ? ce n’est pas ton affaire. ― Je me mêle des choses du malheur ; c’est mon droit, puisque je souffre. L’infortune a pitié de la misère ; la douleur se penche sur le désespoir.

D’ailleurs, cet homme et moi, n’avons-nous pas des souffrances qui se ressemblent ? ne tendons-nous pas chacun les bras à ce qui nous échappe ? moi banni, lui condamné, ne nous tournons-nous pas chacun vers notre lumière, lui vers la vie, moi vers la patrie ?

Et, l’on devrait réfléchir à ceci, ― l’aveuglement de la créature humaine qui proscrit et qui juge est si profond, la nuit est telle sur la terre, que nous sommes frappés, nous les bannis de France, pour avoir fait notre devoir, comme cet homme est frappé pour avoir commis un crime. La justice et l’iniquité se donnent la main dans les ténèbres.

Mais qu’importe ! pour moi cet assassin n’est plus un assassin, cet incendiaire n’est plus un incendiaire, ce voleur n’est plus un voleur ; c’est un être frémissant qui va mourir. Le malheur le fait mon frère. Je le défends.

L’adversité qui nous éprouve a parfois, outre l’épreuve, des utilités imprévues, et il arrive que nos proscriptions, expliquées par les choses auxquelles elles servent, prennent des sens inattendus et consolants.