Page:Hugo - Actes et paroles - volume 4.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
PENDANT L’EXIL. — 1867.

De son côté, là-bas, au désert, sous la bise,
Dans l’ombre avec la mort le vautour fraternise ;
Les bêtes du sépulcre ont leur vil rendez-vous ;
Le freux, la louche orfraie, et le pygargue roux,
L’âpre autour, les milans, féroces hirondelles,
Volent droit aux charniers, et tous, à tire d’ailes,
Se hâtent vers les morts, et ces rauques oiseaux
S’abattent, l’un mordant la chair, l’autre les os,
Et, criant, s’appelant, le feu sous les paupières,
Viennent boire le sang qui coule entre les pierres.

VIII

Ô peuple, noir dormeur, quand t’éveilleras-tu ?
Rester couché sied mal à qui fut abattu.
Tu dors, avec ton sang sur les mains, et, stigmate
Que t’a laissé l’abjecte et dure casemate,
La marque d’une corde autour de tes poignets.
Qu’as-tu fait de ton âme, ô toi qui t’indignais !
L’empire est une cave, et toutes les espèces
De nuit te tiennent pris sous leurs brumes épaisses.
Tu dors, oubliant tout, ta grandeur, son complot,
La liberté, le droit, ces lumières d’en haut ;
Tu fermes les yeux, lourd, gisant sous d’affreux voiles,
Sans souci de l’affront que tu fais aux étoiles !
Allons, remue. Allons, mets-toi sur ton séant.
Qu’on voie enfin bouger le torse du géant.
La longueur du sommeil devient ignominie.
Es-tu las ? es-tu sourd ? es-tu mort ? Je le nie.
N’as-tu pas conscience en ton accablement
Que l’opprobre s’accroît de moment en moment ?
N’entends-tu pas qu’on marche au dessus de ta tête ?
Ce sont les rois. Ils font le mal. Ils sont en fête.
Tu dors sur ce fumier ! Toi qui fus citoyen !
Te voilà devenu bête de somme. Eh bien,
L’âne se lève, et brait ; le bœuf se dresse et beugle.
Cherche donc dans la nuit puisqu’on t’a fait aveugle !