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VI

AUX MARINS DE LA MANCHE

J’ai reçu, des mains de l’honorable capitaine Harvey, la lettre collective que vous m’adressez ; vous me remerciez d’avoir dédié, d’avoir donné à cette mer de la Manche, un livre[1]. Ô vaillants hommes, vous faites plus que de lui donner un livre, vous lui donnez votre vie.

Vous lui donnez vos jours, vos nuits, vos fatigues, vos insomnies, vos courages ; vous lui donnez vos bras, vos cœurs, les pleurs de vos femmes qui tremblent pendant que vous luttez, l’adieu des enfants, des fiancées, des vieux parents, les fumées de vos hameaux envolées dans le vent ; la mer, c’est le grand danger, c’est le grand labeur, c’est la grande urgence ; vous lui donnez tout ; vous acceptez d’elle cette poignante angoisse, l’effacement des côtes ; chaque fois qu’on part, question lugubre, reverra-t-on ceux qu’on aime ? La rive s’en va comme un décor de théâtre qu’une main emporte. Perdre terre, quel mot saisissant ! on est comme hors des vivants. Et vous vous dévouez, hommes intrépides. Je vois parmi vos signatures les noms de ceux qui, dernièrement, à Dungeness, ont été de si héroïques sauveteurs[2]. Rien ne vous lasse. Vous rentrez au port, et vous repartez.

Votre existence est un continuel défi à l’écueil, au hasard, à la saison, aux précipices de l’eau, aux pièges du

  1. Les Travailleurs de la mer.
  2. Aldridge et Windham.