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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 4.djvu/222

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PENDANT L’EXIL. — 1870

vent. Vous vous en allez tranquilles dans la formidable vision de la mer ; vous vous laissez écheveler par la tempête ; vous êtes les grands opiniâtres du recommencement perpétuel ; vous êtes les rudes laboureurs du sillon bouleversé ; là, nulle part la limite et partout l’aventure ; vous allez dans cet infini braver cet inconnu ; ce désert de tumulte et de bruit ne vous fait pas peur ; vous avez la vertu superbe de vivre seuls avec l’océan dans la rondeur sinistre de l’horizon ; l’océan est inépuisable et vous êtes mortels, mais vous ne le redoutez pas ; vous n’aurez pas son dernier ouragan et il aura votre dernier souffle. De là votre fierté, je la comprends. Vos habitudes de témérité ont commencé dès l’enfance, quand vous couriez tout nus sur les grèves ; mêlés aux vastes plis des marées montantes et brunis par le hâle, grandis par la rafale, vieillis dans les orages, vous ne craignez pas l’océan, et vous avez droit à sa familiarité farouche, ayant joué tout petits avec son énormité.

Vous me connaissez peu. Je suis pour vous une silhouette de l’abîme debout au loin sur un rocher. Vous apercevez par instants dans la brume cette ombre, et vous passez. Pourtant, à travers vos fracas de houles et de bourrasques, l’espèce de vague rumeur que peut faire un livre est venue jusqu’à vous. Vous vous tournez vers moi entre deux tempêtes et vous me remerciez.

Je vous salue.

Je vais vous dire ce que je suis. Je suis un de vous. Je suis un matelot, je suis un combattant du gouffre. J’ai sur moi un déchaînement d’aquilons. Je ruisselle et je grelotte, mais je souris, et quelquefois comme vous je chante. Un chant amer. Je suis un guide échoué, qui ne s’est pas trompé, mais qui a sombré, à qui la boussole donne raison et à qui l’ouragan donne tort, qui a en lui la quantité de certitude que produit la catastrophe traversée, et qui a droit de parler aux pilotes avec l’autorité du naufragé. Je suis dans la nuit, et j’attends avec calme l’espèce de jour qui viendra, sans trop y compter pourtant, car si Après-demain est sûr, Demain ne l’est pas ; les réalisations immédiates sont rares, et, comme vous, j’ai plus d’une fois, sans confiance, vu poindre la sinistre aurore. En