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PENDANT L’EXIL. — 1862.


À Paris, en 1818 ou 19, un jour d’été, vers midi, je passais sur la place du Palais de justice. Il y avait là une foule autour d’un poteau. Je m’approchai. À ce poteau était liée, carcan au cou, écriteau sur la tête, une créature humaine, une jeune femme ou une jeune fille. Un réchaud plein de charbons ardents était à ses pieds devant elle, un fer à manche de bois, plongé dans la braise, y rougissait, la foule semblait contente. Cette femme était coupable de ce que la jurisprudence appelle vol domestique et la métaphore banale, danse de l’anse du panier. Tout à coup, comme midi sonnait, en arrière de la femme et sans être vu d’elle, un homme monta sur l’échafaud ; j’avais remarqué que la camisole de bure de cette femme avait par derrière une fente rattachée par des cordons ; l’homme dénoua rapidement les cordons, écarta la camisole, découvrit jusqu’à la ceinture le dos de la femme, saisit le fer dans le réchaud, et l’appliqua, en appuyant profondément, sur l’épaule nue. Le fer et le poing du bourreau disparurent dans une fumée blanche. J’ai encore dans l’oreille, après plus de quarante ans, et j’aurai toujours dans l’âme l’épouvantable cri de la suppliciée. Pour moi, c’était une voleuse, ce fut une martyre. Je sortis de là déterminé — j’avais seize ans — à combattre à jamais les mauvaises actions de la loi.

De ces mauvaises actions la peine de mort est la pire. Et que n’a-t-on pas vu, même dans notre siècle, et sans sortir des tribunaux ordinaires et des délits communs ! Le 20 avril 1849, une servante, Sarah Thomas, une fille de dix-sept ans, fut exécutée à Bristol pour avoir, dans un moment de colère, tué d’un coup de bûche sa maîtresse qui la battait. La condamnée ne voulait pas mourir. Il fallut sept hommes pour la traîner au gibet. On la pendit de force. Au moment où on lui passait le nœud coulant, le bourreau lui demanda si elle avait quelque chose à faire dire à son père. Elle interrompit son râle pour répondre : oui, oui, dites-lui que je l’aime. Au commencement du siècle, sous Georges III, à Londres, trois enfants de la classe des ragged (déguenillés) furent condamnés à mort pour vol. Le plus âgé, le Newgate Calendar constate le fait, n’avait pas quatorze ans. Les trois enfants furent pendus.