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Page:Hugo - Actes et paroles - volume 4.djvu/35

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GENÈVE ET LA PEINE DE MORT

Quelle idée les hommes se font-ils donc du meurtre ? Quoi ! en habit, je ne puis tuer ; en robe je le puis ! comme la soutane de Richelieu, la toge couvre tout ! Vindicte publique ? Ah ! je vous en prie, ne me vengez pas ! Meurtre, meurtre ! vous dis-je. Hors le cas de légitime défense entendu dans son sens le plus étroit (car, une fois votre agresseur blessé par vous et tombé, vous lui devez secours), est-ce que l’homicide est jamais permis ? est-ce que ce qui est interdit à l’individu est permis à la collection ? Le bourreau, voilà une sinistre espèce d’assassin ! l’assassin officiel, l’assassin patenté, entretenu, renté, mandé à certains jours, travaillant en public, tuant au soleil, ayant pour engins « les bois de justice », reconnu assassin de l’état ! l’assassin fonctionnaire, l’assassin qui a un logement dans la loi, l’assassin au nom de tous ! Il a ma procuration et la vôtre, pour tuer. Il étrangle ou égorge, puis frappe sur l’épaule de la société, et lui dit : Je travaille pour toi, paye-moi. Il est l’assassin cum privilegio legis, l’assassin dont l’assassinat est décrété par le législateur, délibéré par le juré, ordonné par le juge, consenti par le prêtre, gardé par le soldat, contemplé par le peuple. Il est l’assassin qui a parfois pour lui l’assassiné ; car j’ai discuté, moi qui parle, avec un condamné à mort appelé Marquis, qui était en théorie partisan de la peine de mort ; de même que, deux ans avant un procès célèbre, j’ai discuté avec un magistrat nommé Teste qui était partisan des peines infamantes. Que la civilisation y songe, elle répond du bourreau. Ah ! vous haïssez l’assassinat jusqu’à tuer l’assassin ; moi je hais le meurtre jusqu’à vous empêcher de devenir meurtrier. Tous contre un, la puissance sociale condensée en guillotine, la force collective employée à une agonie, quoi de plus odieux ? Un homme tué par un homme effraye la pensée, un homme tué par les hommes la consterne.

Faut-il vous le redire sans cesse ? cet homme, pour se reconnaître et s’amender, et se dégager de la responsabilité accablante qui pèse sur son âme, avait besoin de tout ce qui lui restait de vie. Vous lui donnez quelques minutes ! de quel droit ? Comment osez-vous prendre sur vous cette redoutable abréviation des phénomènes divers du repentir ?