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DEPUIS L’EXIL. — BRUXELLES.

Ta gloire, ô peuple, avait l’aurore pour compagne,
Et le jour se levait partout où tu passais ;
Comme on a dit les grecs on disait les français ;
Tu détruisais le mal, l’enfer, l’erreur, le vice,
Ici le moyen âge et là le saint-office ;
Superbe, tu luttais contre tout ce qui nuit ;
Ta clarté grandissante engloutissait la nuit ;
Toute la terre était à tes rayons mêlée ;
Tandis que tu montais dans ta voie étoilée,
Les hommes t’admiraient, même dans tes revers ;
Parfois tu t’envolais planant ; et l’univers,
Vingt ans, du Tage à l’Elbe et du Nil à l’Adige,
Fut la face éblouie et tu fus le prodige ;
Et tout disparaissait, Histoire, souviens-t’en,
Même le chef géant, sous le peuple titan.

De là deux monuments élevés à ta gloire,
Le pilier de puissance et l’arche de victoire,
Qui tous deux sont toi-même, ô peuple souverain,
L’un étant de granit et l’autre étant d’airain.

Penser qu’on fut vainqueur autrefois est utile.
Oh ! ces deux monuments, que craint l’Europe hostile,
Comme on va les garder, et comme nuit et jour
On va veiller sur eux avec un sombre amour !
Ah ! c’est presque un vengeur qu’un témoin d’un autre âge !
Nous les attesterons tous deux, nous qu’on outrage ;
Nous puiserons en eux l’ardeur de châtier.
Sur ce hautain métal et sur ce marbre altier,
Oh ! comme on cherchera d’un œil mélancolique
Tous ces fiers vétérans, fils de la république !
Car l’heure de la chute est l’heure de l’orgueil ;
Car la défaite augmente, aux yeux du peuple en deuil,
Le resplendissement farouche des trophées ;
Les âmes de leur feu se sentent réchauffées ;
La vision des grands est salubre aux petits.