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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

La mort de Paris, quel deuil !

L’assassinat de Paris, quel crime !

Le monde aurait le deuil, vous auriez le crime.

N’acceptez pas cette responsabilité formidable. Arrêtez-vous.

Et puis, un dernier mot. Paris poussé à bout, Paris soutenu par toute la France soulevée, peut vaincre et vaincrait ; et vous auriez tenté en pure perte cette voie de fait qui déjà indigne le monde. Dans tous les cas, effacez de ces lignes écrites en hâte les mots destruction, abolition, mort. Non, on ne détruit pas Paris. Parvînt-on, ce qui est malaisé, à le démolir matériellement, on le grandirait moralement. En ruinant Paris, vous le sanctifieriez. La dispersion des pierres ferait la dispersion des idées. Jetez Paris aux quatre vents, vous n’arriverez qu’à faire de chaque grain de cette cendre la semence de l’avenir. Ce sépulcre criera Liberté, Égalité, Fraternité ! Paris est ville, mais Paris est âme. Brûlez nos édifices, ce ne sont que nos ossements ; leur fumée prendra forme, deviendra énorme et vivante, et montera jusqu’au ciel, et l’on verra à jamais, sur l’horizon des peuples, au-dessus de nous, au-dessus de vous, au-dessus de tout et de tous, attestant notre gloire, attestant votre honte, ce grand spectre fait d’ombre et de lumière, Paris.

Maintenant, j’ai dit. Allemands, si vous persistez, soit, vous êtes avertis. Faites, allez, attaquez la muraille de Paris. Sous vos bombes et vos mitrailles, elle se défendra. Quant à moi, vieillard, j’y serai, sans armes. Il me convient d’être avec les peuples qui meurent, je vous plains d’être avec les rois qui tuent.

Paris, 9 septembre 1870.