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OBSÈQUES DE MADAME PAUL MEURICE.

est allé en prison. Sa femme a compris cette nouvelle gloire, et, à partir de ce jour, elle qui jusque-là n’avait encore été que bonne, elle est devenue grande.

Aussi plus tard, quand les désastres sont arrivés, quand l’épreuve a pris les proportions d’une calamité publique, a-t-elle été prête à toutes les abnégations et à tous les dévouements.

L’histoire de ce siècle a des jours inoubliables. Par moments, dans l’humanité, une certaine sublimité de la femme apparaît ; aux heures où l’histoire devient terrible, on dirait que l’âme de la femme saisit l’occasion et veut donner l’exemple à l’âme de l’homme. L’antiquité a eu la femme romaine ; l’âge moderne aura la femme française. Le siége de Paris nous a montré tout ce que peut être la femme : dignité, fermeté, acceptation des privations et des misères, gaîté dans les angoisses. Le fond de l’âme de la femme française, c’est un mélange héroïque de famille et de patrie.

La généreuse femme qui est dans cette tombe a eu toutes ces grandeurs-là. J’ai été son hôte dans ces jours tragiques ; je l’ai vue. Pendant que son vaillant mari faisait sa double et rude tâche d’écrivain et de soldat, elle aussi se levait avant l’aube. Elle allait dans la nuit, sous la pluie, sous le givre, les pieds dans la neige, attendre pendant de longues heures, comme les autres nobles femmes du peuple, à la porte des bouchers et des boulangers, et elle nous rapportait du pain et de la joie. Car la plus vraie de toutes les joies, c’est le devoir accompli. Il y a un idéal de la femme dans Isaïe, il y en a un autre dans Juvénal, les femmes de Paris ont réalisé ces deux idéals. Elles ont eu le courage qui est plus que la bravoure, et la patience qui est plus que le courage. Elles ont eu devant le péril de l’intrépidité et de la douceur. Elles donnaient aux combattants désespérés l’encouragement du sourire. Rien n’a pu les vaincre. Comme leurs maris, comme leurs enfants, elles ont voulu lutter jusqu’à la dernière heure, et, en face d’un