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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

ennemi sauvage, sous l’obus et sous la mitraille, sous la bise acharnée d’un hiver de cinq mois, elles ont refusé, même à la Seine charriant des glaçons, même à la faim, même à la mort, la reddition de leur ville. Ah ! vénérons ce Paris qui a produit de telles femmes et de tels hommes. Soyons à genoux devant la cité sacrée. Paris, par sa prodigieuse résistance, a sauvé la France que le déshonneur de Paris eût tuée, et l’Europe que la mort de la France eût déshonorée.

Quoique l’ennemi ait pu faire, il y a peut-être un mystérieux rétablissement d’équilibre dans ce fait : la France moindre, mais Paris plus grand.

Que la belle âme, envolée, mais présente, qui m’écoute en ce moment, soit fière ; toutes les vénérations entourent son cercueil. Du haut de la sérénité inconnue, elle peut voir autour d’elle tous ces cœurs pleins d’elle, ces amis respectueux qui la glorifient, cet admirable mari qui la pleure. Son souvenir, à la fois douloureux et charmant, ne s’effacera pas. Il éclairera notre crépuscule. Une mémoire est un rayonnement.

Que l’âme éternelle accueille dans la haute demeure cette âme immortelle ! La vie, c’est le problème, la mort c’est la solution. Je le répète, et c’est par là que je veux terminer cet adieu plein d’espérance, le tombeau n’est ni ténébreux, ni vide. C’est là qu’est la grande lueur. Qu’il soit permis à l’homme qui parle en ce moment de se tourner vers cette clarté. Celui qui n’existe plus pour ainsi dire ici-bas, celui dont toutes les ambitions sont dans la mort, a le droit de saluer au fond de l’infini, dans le sinistre et sublime éblouissement du sépulcre, l’astre immense, Dieu.