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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

faut que l’indomptable pensée française se réveille et combatte sous toutes les formes. L’esprit français possède cette grande arme, la langue française, c’est-à-dire l’idiome universel. La France a pour auditoire le monde civilisé. Qui a l’oreille prend l’âme. La France vaincra. On brise une épée, on ne brise pas une idée. Courage donc, vous, combattants de l’esprit !

Le monde a pu croire un instant à sa propre agonie. La civilisation sous sa forme la plus haute, qui est la république, a été terrassée par la barbarie sous sa forme la plus ténébreuse, qui est l’empire germanique. Éclipse de quelques minutes. L’énormité même de la victoire la complique d’absurdité. Quand c’est le moyen âge qui met la griffe sur la révolution, quand c’est le passé qui se substitue à l’avenir, l’impossibilité est mêlée au succès, et l’ahurissement du triomphe s’ajoute à la stupidité du vainqueur. La revanche est fatale. La force des choses l’amène. Ce grand dix-neuvième siècle, momentanément interrompu, doit reprendre et reprendra son œuvre ; et son œuvre, c’est le progrès par l’idéal. Tâche superbe. L’art est l’outil, les esprits sont les ouvriers.

Faites votre travail, qui fait partie du travail universel.

J’aime le groupe des talents nouveaux. Il y a aujourd’hui un beau phénomène littéraire qui rappelle un magnifique moment du seizième siècle. Toute une génération de poëtes fait son entrée. C’est, après trois cents ans, dans le couchant du dix-neuvième siècle, la pléiade qui reparaît. Les poëtes nouveaux sont fidèles à leur siècle ; de là leur force. Ils ont en eux la grande lumière de 1830 ; de là leur éclat. Moi qui approche de la sortie, je salue avec bonheur le lever de cette constellation d’esprits sur l’horizon.

Oui, mes jeunes confrères, oui, vous serez fidèles à votre siècle et à votre France. Vous ferez un journal vivant, puissant, exquis. Vous êtes de ceux qui combattent quand ils raillent, et votre rire mord. Rien ne vous distraira du devoir. Même quand vous en semblerez le plus éloignés,