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AUX RÉDACTEURS DU PEUPLE SOUVERAIN.

à l’usurpateur le respect du souverain, à la société le respect de la nature, à la loi le respect du droit. Ce livre haïrait la haine. Il réconcilierait le frère avec le frère, l’aîné avec le puîné, le bourgeois avec l’ouvrier, le capital avec le travail, l’outil avec la main. Il aurait pour effort de produire la vertu d’abord, la richesse ensuite, le bien-être matériel étant vain s’il ne contient le bien-être moral, aucune bourse pleine ne suppléant à l’âme vide. Ce livre observerait, veillerait, épierait ; il ferait le guet autour de la civilisation ; il n’annoncerait la guerre qu’en dénonçant la monarchie ; il dresserait le bilan de faillite de chaque bataille, supputerait les millions, compterait les cadavres, cuberait le sang versé, et ne montrerait jamais les morts sans montrer les rois. Ce livre saisirait au passage, coordonnerait, grouperait tout ce que l’époque a de grand, le dévouement héroïque, l’œuvre célèbre, la parole éclatante, le vers illustre, et ferait voir le profond lien entre un mot de Corneille et une action de Danton. Dans l’intérêt de tous et pour le bien de tous, il offrirait des modèles et il ferait des exemples ; il éclairerait, malgré elle et malgré lui, la vertu qui aime l’ombre et le crime qui cherche les ténèbres ; il serait le livre du bien dévoilé et du mal démasqué. Ce livre serait à lui seul presque une bibliothèque. Il n’aurait pour ainsi dire pas de commencement, se rattachant à tout le passé, et pas de fin, se ramifiant dans tout l’avenir. Telle serait cette bible immense. Est-ce une chimère qu’un tel livre ? Non, car vous allez le faire.

Qu’est-ce que c’est que le journal à un sou ? C’est une page de ce livre.

Certes, le mot bible n’est pas de trop. La page, c’est le jour ; le volume, c’est l’année ; le livre, c’est le siècle. Toute l’histoire bâtie, heure par heure, par les événements, toute la parole dite par tous les verbes, mille langues confuses dégageant les idées nettes. Sorte de bonne Babel de l’esprit humain.