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LA LIBÉRATION DU TERRITOIRE.

Peuple, et nous avons tous un pied dans le cercueil,
Et pas une cité n’est entière, et j’estime
Que Verdun est aux fers, que Belfort est victime,
Et que Paris se traîne, humble, amoindri, plaintif,
Tant que Strasbourg est pris et que Metz est captif.
Rien ne nous fait le cœur plus rude et plus sauvage
Que de voir cette voûte infâme, l’esclavage,
S’étendre et remplacer au-dessus de nos yeux
Le soleil, les oiseaux chantants, les vastes cieux !
Non, je ne suis pas libre. 0 tremblement de terre !
J’entrevois sur ma tête un nuage, un cratère,
Et l’âpre éruption des peuples, fleuve ardent ;
Je râle sous le poids de l’avenir grondant,
J’écoute bouillonner la lave sous-marine,
Et je me sens toujours l’Etna sur la poitrine !

*

Et puisque vous voulez que je vous dise tout,
Je dis qu’on n’est point grand tant qu’on n’est pas debout,
Et qu’on n’est pas debout tant qu’on traîne une chaîne ;
J’envie aux vieux romains leurs couronnes de chêne ;
Je veux qu’on soit modeste et hautain ; quant à moi,
Je déclare qu’après tant d’opprobre et d’effroi,
Lorsqu’à peine nos murs chancelants se soutiennent,
Sans me préoccuper si des rois vont et viennent,
S’ils arrivent du Caire ou bien de Téhéran,
Si l’un est un bourreau, si l’autre est un tyran,
Si ces curieux sont des monstres, s’ils demeurent
Dans une ombre hideuse où des nations meurent,
Si c’est au diable ou bien à Dieu qu’ils sont dévots,
S’ils ont des diamants aux crins de leurs chevaux,
Je dis que, les laissant se corrompre ou s’instruire,