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DEPUIS L’EXIL. — 1885.

fourmillement de têtes. Au-dessus s’étagent d’autres groupes, juchés sur des pliants, sur les degrés des échelles, sur des estrades faites à la hâte, le long des colonnes des réverbères, aux saillies des fontaines Wallace, sur les branches des arbres de l’avenue, formant partout de véritables grappes humaines. Toutes les fenêtres de chaque côté de l’avenue sont garnies de spectateurs ; les toits, les cheminées mêmes en sont bondés. C’est un tableau vertigineux.

L’affluence est plus considérable au débouché des rues. La rue Balzac est une avalanche vivante. Les voitures, les tapissières ont été arrêtées, réquisitionnées, envahies.

Détail curieux : les agents qui maintiennent la foule sont espacés de vingt en vingt mètres ; quoique compacte et pressée, la masse ne tente sur aucun point de dépasser la ligne qui lui est assignée.

Une maison en réparation, en face de la rue de La Boëtie, a été prise d’assaut. Les échafaudages sont couverts de gens en veston et en blouse. Rue Marbeuf, la foule s’étend sur une largeur de plus de vingt mètres.

Au rond-point des Champs-Élysées, toutes les avenues qui y débouchent sont littéralement obstruées ; les balcons des cafés et des restaurants sont combles ; il n’est pas jusqu’aux vasques des squares qui ne soient occupées. La toiture du Cirque et celle du Diorama sont diaprées de groupes humains émergeant du feuillage vert des arbres.

Un incident émouvant se produit au moment où le corbillard passe devant le Palais de l’Industrie. Sur la place, se dresse le groupe de l’Immortalité, tout enguirlandé de fleurs et de feuillages, et au pied duquel trois couronnes d’immortelles, cravatées de crêpe, ont été déposées ; autour du monument, des cuirassiers forment la garde d’honneur. Le corbillard s’arrête une minute. La figure de l’Immortalité semble tendre sa palme au poète ; les clairons sonnent aux champs ; une grande rumeur court parmi la foule qui, respectueuse, se découvre.

Sur la place de la Concorde, deux pelotons de dragons, sabre au clair, mousquet au dos, forment la haie. Le tableau ici est indescriptible. Les statues des villes sont voilées bien moins par les crêpes dont on les a couvertes que par les groupes des spectateurs qui s’y sont hissés. Les bassins pleins d’eau sont mêmes envahis.

Au pont de la Concorde, cent cinquante pigeons sont mis en liberté et s’envolent à tire-d’aile au-dessus du cortège ; gracieuse idée de Léopold Hugo, le neveu du poète, en souvenir de l’affection